Noir, c'est noir
Marc Miance, l'un des pionniers de la 3D en France, a eu l'idée, pendant un salon Imagina, de faire un film d'animation en vrai noir et
blanc (c'est à dire sans aucun dégradé de gris). Seulement, la technologie en France ne le permettait pas encore. Très vite
associé au réalisateur Christian Volckman, ainsi qu'aux deux scénaristes Alexandre de La Patellière et
Matthieu Delaporte, Marc Miance se lance dans une aventure qui prendra fin sept ans plus tard. Il faudra pour mener à bien un tel
chantier créer une structure capable de produire la quantité phénoménale de travail (pour la France bien sur, les U.S. et le
Japon ont quelques sociétés capables de gérer ce genre de commandes) attendue par les quatre hommes. Le coût est aussi
forcément énorme, et la société doit, pour survivre, vendre son savoir-faire à qui en a besoin (jeux-vidéos,
films, publicités, ...).
Cette société se spécialise dans la motion-capture, technique consistant à enregistrer dans un ordinateur les mouvements
d'un acteur, puis de lui appliquer des textures et des formes par ordinateur. Cette technique est connue depuis des années, et utilisée
depuis longtemps dans les jeux-vidéos. Mais de plus en plus, le cinéma fait appel à cette technique, permettant une grande
souplesse, en particulier lorsque cela met en scène des créatures impossible à filmer en conditions normales. Deux exemples de
film qui ont su tirer tous les avantages de cette technologie, chacun dans un genre différents: Tout d'abord,
King Kong, de Peter Jackson,
mais surtout Le Pôle Express, de Robert Zemeckis, ce dernier ayant poussé
les limites de la technique vers de nouveaux horizons.
Christian Volckman, cependant, veut aller encore plus loin dans la démarche. Non content de faire un film complet en motion capture (comme
le film de Zemeckis), il veut, et ce grâce au noir et blanc, créer un style visuel nouveau.
Bien sur, le cinéaste ne part pas d'un page blanche, bien au contraire. S'inspirant des plus grands, il puise ses idées de la B.D. au
cinéma, de la France aux U.S.A., sans préférence aucune.
Côté bande-dessinées:
Frank Miller. A tout seigneur tout honneur. Grand spécialiste du noir et blanc
(Sin City), le dessinateur américain est clairement l'une des influences majeures de Renaissance. A tel point que le film de
Matthieu Delaporte correspond visuellement beaucoup plus au travail du dessinateur que le film Sin City de Robert Rodriguez (le
film du cinéaste d'origine mexicaine aurait d'ailleurs du ressembler à cela d'un point du vue visuel).
Moebius. Le travail du créateur de l'Alien (ainsi que du film d'animation
les maîtres du temps) a aussi beaucoup influé sur l'ambiance et le look
futuriste du film.
Enki Bilal, sans doute le dessinateur le plus important du genre en activité en France.
Non seulement dessinateur, mais aussi réalisateur (Immortel), Enki Bilal est incontournable dès que l'on fait de la S-F en
France, qui plus est lorsque l'on parle d'immortalité et d'un Paris futuriste. Là encore, Christian Volckman a su, ce coup-ci du
point de vue de l'animation, faire de son film un film plus "Bilalien" que le propre Immortel du dessinateur/réalisateur.
Pour ce qui est du cinéma, voici une liste (non exhaustive) des principales influences artistiques des auteurs de Renaissance:
Bien sur, impossible de ne pas penser aux grands films d'animations de S-F, et en particulier les
films japonais. Ainsi Akira, de Katsuhiro Ôtomo, incontournable du genre, apparaît logiquement comme l'une des
références du film Renaissance, tant d'un point de vue trame de fond (une ville tentaculaire, dangereuse, où se croisent
troupes armées jusqu'aux dents et civils parfois apeurés) que d'un point de vue de l'histoire (l'immortalité, les corporations
surpuissantes, et bien entendu la progéria). D'un certain côté, on pourrait presque dire de ce film qu'il est l'Akira
français.
Autre anime ayant fortement inspiré les créateurs de Renaissance,
Ghost in the Shell, de Mamoru Oshii, lui même tiré du manga homonyme de Masamune Shirow. Police, armement futuriste,
et ville écrasante sont au rendez-vous, aussi bien du côté japonais que français. Dire de ce dessin animé qu'il est
majeur est un euphémisme, puisqu'un film comme Matrix avait déjà allégrement pioché dans les idées
(aussi bien visuelles que thématiques) du film de Mamoru Oshii.
Du côté des films live l'influence majeure de Renaissance n'est autre que le
Blade Runner de
Ridley Scott. C'en est même frappant. Même cité plongée
dans l'obscurité, même publicités géantes, même ambiance film noir, et même noirceur (et pas seulement visuelle).
Dans un cas comme dans l'autre, mélancolie et descente aux enfers sont au rendez-vous. Christian Volckman arrive à rendre hommage
au chef d'oeuvre du cinéaste britannique sans jamais le plagier.
Steven Spielberg, au travers
de son film Minority Report, est aussi cité dans Renaissance. Que Minority Report et
Blade Runner soient tous deux tirés de l'oeuvre du romancier
Philip K. Dick n'est pas un hasard, tant ce dernier a fortement imprégné sa
vision de l'avenir dans l'esprit de ses lecteurs.
De façon plus générale, Renaissance s'inspire aussi beaucoup du
cinéma expressionniste, et en particulier de films comme Metropolis de Fritz Lang. Le chef d'oeuvre du réalisateur allemand,
même 80 ans après sa sortie, reste une source énorme d'inspiration (il suffit de comparer l'androïde de Metropolis avec
le Z6-PO de George Lucas pour comprendre le génie du cinéaste
allemand).
Malgré une foule d'influences, il n'est nullement question d'indigestion de références, voir pire, de plagiat. Les auteurs ont su
s'en nourrir pour accoucher d'un produit très original, beaucoup plus proche du film d'anticipation que du film de science-fiction.
Abordant de très nombreux thèmes, voici une liste, encore une fois non exhaustive, des principales thématiques abordées par
le film:
L'écrasement de l'homme par la ville. L'architecture de Paris est volontairement voulue gigantesque,
avec de nombreuses strates, à l'instar de la ville quasi vivante de Dark City. Dans les
deux cas, d'ailleurs, il semble pratiquement impossible de la quitter. On retrouve aussi cette difficulté pour quitter une mégapole dans
Blade Runner.
Le double. Sujet classique de l'expressionnisme, on le retrouve ici traité de nombreuses
façons, que ce soit au travers du reflet des glaces, vitres et autres surfaces réfléchissantes parsemant le film, ou bien encore au
travers des deux soeurs, Bislane et Ilona, l'une brune, vivante, et à priori dangereuse, et l'autre blonde, renfermée, et pour le coup
véritablement dangereuse (en dire plus serait dévoiler une partie du film).
Le mythe du labyrinthe. Là encore, ce grand classique du récit initiatique,
représente bien évidemment l'enquête du héros, qui ira jusqu'à descendre aux fins fonds des couloirs du métro et
des catacombes parisiennes, et trouvera la solution au mystère ainsi que son destin. Lorsque le mythe du labyrinthe est bien traité (et
c'est le cas ici) l'effet est garanti.
Le clonage. Rien que le mot fait froid dans le dos, et sans beaucoup en dire (et en l'associant
habilement à un grand consortium, par exemple), entraîne facilement le spectateur dans les méandres d'un univers dirigé par
l'argent et les profits. A faire froid dans le dos. La S-F est aussi là pour traiter ce genre de sujets.
Toujours lié aux histoires de clonages, les manipulations génétiques sont, pour
des scénaristes chevronnés, une source d'histoires quasi infinies, et pratiquement toujours diablement efficace. A moins de sombrer dans le
ridicule (Alien 4: la résurrection) le sujet, terriblement d'actualité, est un sujet en or.
Encore un sujet souvent associé à la S-F: l'immortalité. A l'inverse d'un
Fountain ésotérique, l'approche ici est beaucoup plus scientifique, ou en tout cas
plus terre à terre. Et surtout beaucoup plus terrifiante.
Porté par des jeux d'acteur (vocaux) de qualité, le film a su plaire aux américains qui, non seulement l'on sorti chez eux (chose
rare), mais ont aussi mis la paquet sur le casting de voix. On retrouve ainsi
Daniel Craig
(Casino Royale), Catherine McCormack (Braveheart), Jonathan Pryce
(Brazil), ou bien encore Ian Holm
(Le seigneur des anneaux: La communauté de l'anneau). Que du beau monde!
Le film ne fait aucun compromis, autant d'un point de vue visuel que narratif, l'inéluctabilité du récit est poignante, et rien ne
vient faire dévier le bulldozer Renaissance.
Seule touche de couleur dans le film, les dessins enfantins effectués par l'un des personnages du film. Cette touche de couleur, qui peut
rappeler la robe rouge de la petite fille dans la liste de Schindler de
Steven Spielberg, ou bien encore les couleurs dans le noir et blanc de
Sin City (Robert Rodriguez), a pour double objectif de signifier au spectateur que la clé de l'énigme est proche, ainsi que de
montrer le seul personnage qui connait (dans une maigre mesure cependant) une lueur d'espoir.
Une histoire bien sombre, mais quel plaisir à la suivre!