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![]() Le dernier film d'Alfred Hitchcock, Pas de printemps pour Marnie, avait connu un échec commercial cuisant. Le cinéaste, jusque là au top de sa carrière, commence à voir sa côte de popularité décliner et ces films boudés, aussi bien par la critique que par les spectateurs. Afin de remonter la pente, il cherche un scénario à sa mesure, et prend donc son temps. Cependant, pressé par les studios, il se voit forcé de se lancer dans le tournage de son nouveau film avec un scénario de Brian Moore qu'il juge bancal. Il demande alors à Keith Waterhouse et Willis Hall, deux scénaristes en qui il a confiance, de corriger le travail de Brian Moore. Ajoutons à cela la perte de deux de ses principaux collaborateurs, Le monteur George Tomasini et le chef opérateur Robert Burks et on comprend que le film partait sur de mauvaises bases. ![]() Forcé par le studio à travailler avec les acteurs décidé par les producteurs, Alfred Hitchcock se retrouve avec deux stars, considérés par tous comme de bons acteurs, et surtout comme des stars bankable. Il s'agit de Paul Newman et Julie Andrews. Or, ni l'un ni l'autre ne conviennent au cinéaste. Le premier est trop cher, la seconde jugée trop peu bonne actrice par le maître, et ce malgré son Oscar (reçu pour Mary Poppins). En remplacement de Julie Andrews, le cinéaste voulait Eva Marie Saint, qu'il avait déjà dirigée sur la mort aux trousses. Mais, il n'eut finalement pas gain de cause. Quand à son acteur principal, Alfred Hitchcock eut quelques problèmes avec. La raison: le scénario. Aucun n'était satisfait du script, et Paul Newman ne se gêna pas pour le dire. La rumeur courut qu'Hitchcock n'aimait pas la façon de travailler de l'acteur, ce dernier sortant de l'Actor Studio, le cinéaste ayant la -fausse- réputation de mal traiter ses acteurs. Ce n'était pas la première fois qu'il avait en face de lui un de ses acteurs sortant de la fameuse nouvelle prestigieuse école, puisqu'il avait auparavant travaillé avec Montgomery Clift dans La loi du silence. Ce film marque aussi la fin de la fructueuse collaboration entre Alfred Hitchcock et son compositeur fétiche, Bernard Herrmann. Suite à un différent sur la façon de penser la musique du nouveau film du cinéaste, les deux hommes se fâchent et se séparent. Le remplacement par l'Oscarisé John Addison n'y ferra rien: quelque chose vient de se briser définitivement dans la carrière d'Hitchcock (il existe par contre des enregistrements de la partition prévue par Bernard Herrmann, qui malheureusement montrent à quel point le film aurait été meilleur avec le compositeur de Psychose). ![]() Et pourtant, avec les moyens du bord, Alfred Hitchcock a encore une fois réussi à tirer le maximum de son histoire, allant même jusqu'à briser les règles du genre. En effet, dans les films d'espionnage classiques (dont Hitchcock en a lui-même réalisé un bon nombre), la mort est on ne peut plus cinématographique (comprendre douce). Pour Le rideau déchiré, il décide de montrer la difficulté et l'horreur de la mort d'un ennemi, en particulier lors d'un corps à corps. La mort de Gromek est ainsi d'un réalisme rare dans le cinéma de l'époque. Notre héros est obligé de s'y prendre à plusieurs reprises, aidé en cela par une fermière (mais tout de même espionne), et ce voit obligé d'étrangler son adversaire, de le percer d'un coup de couteau, de lui donner des coups de pelle, puis de le gazer. Les critiques lui reprochèrent d'ailleurs l'image véhiculées par la mise à mort d'un allemand par le gaz, symbolique trop chargé. Le cinéaste répondit à cela que sa seule intention était d'utiliser le maximum d'ustensiles (culinaires puisque la scène se déroulait dans une cuisine) pour montrer la difficulté de tuer quelqu'un. On est loin de James Bond et de sa version de l'espionnage (le film est sorti peu de temps après Goldfinger, l'un des plus gros succès de la saga 007). On retrouvera le même naturalisme dans le meurtre lors de la fameuse scène d'étranglement dans Frenzy. ![]() Malgré de purs moments hitchcockiens (la fuite en bus, d'une durée approximative d'une dizaine de minutes, est un pur exemple de tout ce qu'il y a de meilleur dans le cinéma du maître, passant du suspense, à la tension, à l'action, sans oublier l'humour, et le tout sans jamais oublier son histoire en route), le film fut descendu par la critique lors de sa sortie, certains allant même jusqu'à dire que le réalisateur montrait avec ce film la limite de son talent. Il faut dire que le monde du cinéma était en pleine évolution, et le cinéma old school était désormais considéré comme ringard. Hitchcock lui-même a toujours considéré ce film comme l'un de ses moins bons. Pourtant, le cinéaste fait encore une fois la preuve de son talent, ne serait-ce que dans la construction narrative de son film. Ainsi, dans le premier acte, on suit le personnage incarné par Julie Andrews, qui découvre que son fiancé (Paul Newman) est en train de passer à l'ennemi. Dans le second acte, on découvre que non seulement n'est pas un traitre, et que bien au contraire il espionne au péril de sa vie, dans le but de récupérer des secrets (qui au final n'ont que peu d'intérêt pour le film, un McGuffin typique d'Hitchcock). Quand au troisième acte, maintenant sur de la moralité du personnage de Paul Newman, le film change définitivement de héros de point de vue, faisant de Paul Newman le point de mire du film. Habile déplacement de personnage de point de vue que peu de cinéastes arrivent à réaliser. Hitchcock lui, le fait avec une aisance folle. Encore une preuve du talent de l'homme: la fin, jugée par la critique trop similaire à celle de son précédent l'homme qui en savait trop (lui-même déjà le remake de sa première version, mais on pourrait aussi citer Les 39 marches, qui se déroule dans un environnement similaire), est en fait une habile réutilisation des mécanismes utilisées dans ses films précédents, dont le but est double: Faire un clin d'oeil aux spectateurs connaisseurs de son cinéma, et variation sur un thème d'une richesse folle (un homme bloqué dans une salle de spectacle avec son ennemi à portée de lui). |