Chute libre
La grande majorité des gens ignore qu'Alfred Hitchcock a commencé
sa carrière dans le muet. La pente, qui est le quatrième film du maître, rentre dans cette catégorie (il en
réalisera tout de même une bonne douzaine).
Ce film est l'un des tous premiers films d'Hitchcock a avoir connu une
exploitation en salles, tout particulièrement à l'international. D'ailleurs, il en est pour dire que ce film est LE film qui marque
véritablement le début de la carrière du maître. En tout cas, ce qui est sur, c'est que ce film britannique (produit par
Gainsborough Picture) possède déjà nombre des sujets de prédilection du futur réalisateur de films comme
Jeune et innocent ou bien encore
les oiseaux, tels que l'honneur (le mot revient très souvent dans ce film pourtant avare
en affiches et inscriptions lisibles), le faux coupable (l'un des thèmes les plus récurrents du cinéaste), ou bien encore la
traitrise (le héros est trahi par pratiquement tout le monde dans le film).
Le maître arrivera tout au long de sa carrière, à part dans de très rares exceptions (comme par exemple avec
Le chant du Danube), à faire sien les écrits des autres. Dans le cas de
la pente, il s'agit d'une pièce d'Ivor Novello et Constance Collier (qui jouera quelques années plus tard pour le cinéaste dans
la corde) qui aura servi de base au maître.
Le cinéaste britannique arrive avec brio à limiter au maximum le nombre de pancartes explicatives, technique quasiment obligatoire à
l'époque de muet pour expliquer l'histoire, arguant (à raison) que si l'on n'arrive pas à expliquer visuellement ce qui se passe alors
c'est que l'on a raté son film. 60 ans plus tard, Ridley Scott se fera la
même remarque à propos de ce qui est pourtant considéré comme son chef d'oeuvre,
Blade Runner, ce dernier ayant nécessité une voix of explicative alors que
le réalisateur n'en voulait pas. Pour en revenir à Hitchcock,
on retrouvera l'influence du muet dans nombre de ses oeuvres futures, avec de nombreux passages sans aucun son, comme par exemple lors de
l'arrivée de Tippi Hedren dans la ferme des Brenner
(les oiseaux, 1963).
Côté casting, les experts de l'époque maintenant révolue du muet reconnaîtront quelques uns des visages les plus en
vogue de l'époque, en particulier celui d'Ivor Novello. Il fut en effet l'une des personnalités du monde du spectacle les plus
complètes de son temps, cumulant les talents, étant aussi à l'aise en tant qu'acteur, que scénariste (il est d'ailleurs en
partie à l'origine de la pièce qui a servi de base au film), que compositeur et bien évidemment en tant que chanteur (son premier
métier). Il n'en était pas à sa première participation à un film
d'Hitchcock puisqu'il avait auparavant participé à
The lodger, un autre des muets du maître.
D'ailleurs, les autres membres du casting aussi furent des fidèles des premières heures du futur réalisateur de Psychose.
Ainsi l'actrice Isabel Jeans, en plus de sa participation à la pente, jouera dans le passé ne meurt jamais (un autre film muet du
cinéaste), ainsi que dans Soupçons (1941) avec Cary Grant. Ian Hunter, quand à lui, sera visible lui aussi dans
Easy Virtue, et avait déjà joué auparavant dans The ring. Violet Farebrother, elle, jouera dans
Easy Virtue et Meurtre.
On pourrait encore citer Annette Benson qui jouera dans trois films du maître, Three Live Ghosts, the man from home et
la pente, ou bien encore Robin Irvine avec deux participations (La pente et Easy virtue).
Le record est tenu par l'actrice Hanna Jones avec pas moins de six films avec le maître: La pente, Champagne,
Blackmail, Elstree Calling, Meurtre et à l'est de Shanghai.
Si la réputation de bourreau d'acteur d'Hitchcock était
fondé, aucun acteur n'aurait accepté de jouer autant de fois avec lui... Même avec une réputation de génie! Ce que
n'avait pas encore l'homme.