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Le Cimetière de Prague



 
Le Cimetière de Prague, chez Grasset

Auteur

Umberto Eco

 

Genre

Roman historique
 

Année de sortie

2010
 

Résumé


 
Trente ans après Le Nom de la rose, Umberto Eco nous offre le grand roman du XIXème siècle secret. De Turin à Paris, en passant par Palerme, nous croisons une sataniste hystérique, un abbé qui meurt deux fois, quelques cadavres abandonnés dans un égout parisien. Nous assistons à la naissance de l'affaire Dreyfus et à la création de l'évangile antisémite, Les Protocoles des sages de Sion. Nous rencontrons aussi des jésuites complotant contre les francs-maçons, des carbonari étranglant les prêtres avec leurs boyaux. Nous découvrons les conspirations des renseignements piémontais, français, prussien et russe, les massacres dans le Paris de la Commune où l'on se nourrit d'illusions et de rats, les coups de poignard, les repaires de criminels noyés dans les vapeurs d'absinthe, les barbes postiches, les faux notaires, les testaments mensongers, les confraternités diaboliques et les messes noires...
Les ingrédients sont donc réunis pour faire de ce savoureux feuilleton un diabolique roman d'apprentissage. Tout est vrai ici, à l'exception de Simon Simonini, protagoniste dont les actes ne relèvent en rien de la fiction mais ont probablement été le fait de différents auteurs. Qui peut, cependant, l'affirmer avec certitude ? Lorsque l'on gravite dans le cercle des agents doubles, des services secrets, des officiers félons, des ecclésiastes peccamineux et des racistes de tous bors, tout peut arriver...


 

Avis

Note :
 
Les mystères de la Franc-maçonnerie, l'un de nombreux vrais faux autour duquel tourne le cimetière de Prague d'Umberto Eco Il aura fallu huit ans à Umberto Eco pour écrire le cimetière de Prague. Une durée cependant classique chez l'auteur, qui a toujours pris son temps pour ses production fictionnelles. Et si certains de ses écrits sont plutôt difficile d'accès (le fabuleux pendule de Foucault, l'étrange Baudolino), ce n'est pas le cas de celui-ci, qui peut se lire comme un roman historique, où se mê;lent aventures et espionnage, dans la grande tradition d'Alexandre Dumas (personnage que l'on retrouve d'ailleurs dans le cimetière de Prague). Et pourtant, comme toujours chez Umberto Eco, le roman s'avère bien plus riche qu'un simple roman d'aventures. Car, l'auteur nous fait (re)découvrir l'histoire européenne du XIXème siècle, un siècle où l'Italie moderne se créé (dans le sang), où Paris voit passer dans ses rues les Prussiens et les révolutionnaires, où la tout le monde s'espionne, se trompe, voir se tue, pour des raisons qui n'ont bien souvent pas grand chose à voir avec les raisons d'état. Et surtout, où le mensonge a des répercutions mondiales (ou tout de moins européenne, ce qui a l'époque était, pour la majorité des gens, la même chose).
Le Faux, thème au centre de la pensée d'Umberto Eco depuis toujours (cf. des essais comme les limites de l'interprétation ou bien encore la guerre du faux, ainsi bien sur des ses romans, le pendule de Foucault, le nom de la rose et Baudolino en tête), et ici développé et décortiqué, et ce sous toutes ses formes, y compris littéraires. Sur ce point précis, la forme même du roman entraîne le lecteur dans le faux et le mensonge: en effet, le cimetière de Prague est narré par pas moins de trois personnages: Simone Simonini, l'escroc falsificateur, menteur, raciste, misogyne, plus ou moins amnésique, mais néanmoins héros (sympathique) du roman; Dalla Piccola, un curé lui aussi amnésique, et visiblement n'existant que dans l'esprit de Simonini; et enfin un Narrateur, qui vient remettre les idées des deux précédents en ordre. Mais les trois personnages de finalement n'en être qu'un, Simonini, ou peu s'en faut....
Et Umberto Eco de nous montrer, au travers de son faussaire, le mode de fonctionnement, voir de diffusion, du faux. Et ce, via une pirouette thématique, en ne décrivant que des faits réels. En fait, Umberto Eco, faisant comme toujours preuve de finesse et d'érudition, prend à contre pied des romans comme le Da Vinci Code de Dan Brown (voir pire, comme l'essai L'Enigme sacrée d'Henry Lincoln, Richard Leigh et Michael Baigent, dont s'est justement inspiré Dan Brown pour son best seller), qui aux déclarent dévoiler la vérité, en inventant des faits, là où donc Umberto Eco nous démontre le mensonge et le Faux en nous décrivant la vérité.
Umberto Eco s'en prend ainsi aux fumeuses théories du complot (une constante chez lui), autant à la mode au XIXème siècle que de nos jours (la preuve par quatre dans le roman), au satanisme, mais aussi et surtout à l'un des faux les plus tristement célèbres de notre époque: les Protocoles des Sages de Sion (un fascicule de propagande à caractère antisémite ayant grandement influencé la pensée et la doctrine hitlérienne). Aujourd'hui encore, une grande partie des théories du complot se basent plus ou moins directement sur le mode de pensée des Protocoles des Sages de Sion. Le fascicule lui-même est encore lu comme vrai par de nombreuses personnes de part le monde (cf. la déclaration d'Hamid Chabat, maire de Fès, en mars 2011, où il annoncait "que les révolutions arabes étaient inscrites dans l'agenda des Protocoles des Sages de Sion"), alors même que son origine frauduleuse a été démontrée, et ne fait aujourd'hui plus l'ombre d'un doute. Depuis les auteurs, de Rachkovsky à Golovinski, jusqu'aux passages repris pratiquement à l'identique des romans de Maurice Joly et Eugène Sue, ou des essais de Léo Taxil, sans oublier les buts de cet écrit, l'histoire des protocoles est aujourd'hui connue dans ses moindres détails, et Umberto Eco d'articuler son cimetière de Prague autour de ce Faux.
Se retrouvent aussi dans ce roman les théories anti franc-maçonnes, les jésuites, l'affaire Dreyfus, Léo Taxil et son canular spectaculaire, Ippolito Nievo, Alexandre Dumas (père et fils), Sigmund Freud, Barruel, Eugène Sue, Garibaldi, le tout dans un Paris rappelant le New-York d'Herbert Asbury dans son Gangs of New-York (mais sans les exagérations et le mélange entre mythe et réalité propre à l'auteur), et, pour la forme, dans le style épistolaire si cher à ce siècle. Et comme le dit l'auteur, dans son roman tout est vrai sauf le héros. Et encore, même celui-ci de ne pas être une pure fiction....
 
Avec le cimetière de Prague, Umberto Eco créé en quelque sorte un pont thématique avec ses précédents ouvrages fictionnels: trame policière comme dans le nom de la rose (les cadavres pleuvent dans les deux romans y compris ceux de prêtres), auto-psychanalyse comme dans La Mystérieuse Flamme de la reine Loana, héros pris dans une spirale autodestructrice comme dans l'île du jour d'avant, et dénonciation des faussaires comme dans le pendule de Foucault et Baudolino. Une synthèse qui met en avant un personnage odieux, mais finalement attachant, alors même que ses actes, le lecteur le sait bien, vont avoir des conséquences dramatiques pour l'avenir européen, l'auteur nous rappelant que l'être humain, s'il agit bien souvent avec bêtise et méchanceté, reste cependant attachant et mérite l'amour ou tout du moins l'amitié de son prochain. Et grâce à son talent, son humour -souvent teinté d'ironie-, et son érudition, nous donne une leçon d'histoire, d'écriture et aussi et surtout donne à son lecteur à réfléchir.

 
Les Protocoles des Sages de Sion, un document au centre du récit du cimetière de Prague d'Umberto Eco

 
"La haine est la vraie passion primordiale. C'est l'amour qui est une situation anormale. C'est pour ça que le Christ a été tué, il parlait contre nature": Umberto Eco dans le cimetière de Prague.
 


 
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