
Avant de lire
l'énigme sacrée, il faut comprendre une chose: L'être humain adore se raconter des histoires. On pourrait même dire qu'il ne fonctionne qu'au travers
d'histoires, petites ou grandes (ce qu'a tout à fait compris un auteur comme
Terry Pratchett. Une fois ce fait assimilé, le
lecteur peut s'attaquer à l'enquête des trois compères,
Michael Baigent,
Richard Leigh et
Henry Lincoln.
Paru en 1982 en Angleterre, en pleine période de diffusion de la série de la BBC
Chronicle (où travaillait
Henry Lincoln),
l'énigme sacrée se retrouve vite à la tête des ventes des récits traitant de
mystères et d'ésotérisme, devenant rapidement la référence absolue du genre. Le livre a en effet plusieurs avantages sur ses concurrents: tout d'abord, il est
extrêmement documenté; ensuite, il surfe sur un sujet -ou plutôt plusieurs sujets- porteur (le mystère entourant les templiers, les cathares et l'abbé Saunière); il
est écrit par de véritables journalistes, appuyant ainsi leurs dires du crédit propre à leur métier, mais surtout il est conçu de façon à
délibérément embrouiller le lecteur. Explication: les trois auteurs mélangent dans leur essai conclusion, réflexion ayant mené à l'élaboration
de leur théorie, faits historiques appuyant leurs dires, théories révisionnistes et légendes se transformant de fait en vérité historique (la quête du
Graal par exemple). Résultat, le lecteur ne sait jamais à quoi il a affaire, et finit soit par croire l'ensemble du récit, ce qui est bien entendu le but des trois compères,
soit décroche totalement de la démonstration, et en prenant du recul, risque de voir les ficelles manipulatrices tendues par les auteurs. Mais, ce genre de récits ayant avant tout
pour cible un public déjà conquis, le risque est finalement faible de s'aliéner le lecteur.
Une grande majorité des faits énoncés dans
l'énigme sacrée est absolument invérifiable, ce qui d'ailleurs aura été (à très juste titre)
reproché aux auteurs. Entre preuves détruites dans des incendies (dont certaines bien avant que les auteurs ne s'intéressent à leur histoire), détenues par des
privés (et donc impossible à obtenir), sous clé dans des banques, ou bien encore tout bonnement perdues, il est bien difficile de mener sa propre contre-enquête.
Mais tout cela n'est rien comparé aux deux sources principales ayant mené les auteurs à la théorie de
l'énigme sacrée. Il s'agit des
Dossiers secrets d'Henri Lobineau, et des entretiens avec
Pierre Plantard, grand maître de l'Ordre du Prieuré de Sion. Or, si les premiers sont maintenant avérés
comme des faux,
Pierre Plantard a quand à lui avoué en 1993 son imposture (il était alors pris dans la tourmente d'une histoire de meurtre, celle de
Roger-Patrice Pelat, ayant des ramifications au plus haut niveau de la République française). Ainsi, les bases même de la démonstration reposent sur des faux....
Mais quels sont donc les thèses défendues par l'
Enigme sacré, un livre où se mêlent templiers, cathares, rose-croix, francs-maçons, mérovingiens,
ainsi que des personnages historiques tels que
Pépin le Bref,
Charles Martel,
Christophe Colomb,
Léonard de Vinci,
Isaac Newton,
Poussin,
Botticelli,
Victor Hugo,
Jean Cocteau, l'abbé
Saunière, et plus généralement l'Eglise, ainsi que, bien entendu, Jésus, le tout sur fond
de quête du Graal?

Le Prieuré de Sion est une société secrète extrêmement influente, et ce depuis sa création en 1099.

Elle est à l'origine de la création de l'Ordre des Templiers, qui est le bras armé du Prieuré.

Le but du Prieuré est de protéger la ligné mérovingienne, dans le but de la replacer sur le trône, de France
au minimum, d'une Europe unifiée dans l'idéal.

La lignée royale mérovingienne descend en direct des enfants qu'a eus Jésus avec son épouse Marie-Madeleine.

Le dévouement des membres du Prieuré envers le fameux Sang Royal s'explique par le fait que la majorité des membres, et
à plus forte raison des maîtres de l'ordre, sont eux-mêmes des mérovingiens de pure souche.

L'Eglise, de son côté, cherche depuis toujours à cacher l'existence d'enfants de Jésus.

L'Eglise, toujours elle, est en quelque sorte coupable de déicide, car elle est en partie responsable de l'assassinat du dernier roi
mérovingien, Dagobert II, et ce en toute connaissance de faits.
Si le lecteur ne réfléchit pas trop (ou en tout cas n'analyse pas dans les détails les différentes théories avancées par les auteurs), la réécriture
de l'Histoire proposée par
Michael Baigent,
Richard Leigh et
Henry Lincoln peut sembler séduisante. Cependant, en plus des incohérences historiques, il arrive qu'elle se contredise
elle-même. Un exemple? Le Prieuré de Sion, cherchant à réinstaller le sang mérovingien sur le trône de France, choisit de marier le roi Louis XVI à une
descendante mérovingienne, en la personne de Marie-Antoinette. Malheureusement, la Révolution française, menée par les francs-maçons, faut-il le rappeler, vient
mettre un terme à cette tentative. Mais pourquoi les francs-maçons auraient-ils mis des bâtons dans les roues du Prieuré de Sion, les premiers étant au service de ce dernier?
De façon plus profonde, pourquoi évincer la Monarchie de France, lorsque le but est justement de remettre un roi -mérovingien- au pouvoir? Cela n'a pas de sens.
L'Enigme sacrée fut d'ailleurs taxée de révisionniste, réécrivant l'histoire au fil de ses envies et besoins. Les trois auteurs montrent même leur
méthode de "tri" lorsqu'ils cherchent à trouver les preuves bibliques du mariage de Jésus: Tout ce qui vient contredire leur théorie est à leurs yeux mensonge,
ajouté lors du concile de Nicée pour cacher la vérité. Ce qui vient conforter leur théorie est par contre vérité indéniable, une
vérité ayant échappé à la vigilance de l'Eglise!
Il est par contre possible de tirer deux leçons de
L'Enigme sacrée:

le passé peut être interprété de plusieurs façons, l'Histoire n'en étant qu'une parmi tant d'autres,
certes plus crédible, mais pas forcément vrai pour autant.

Il est très facile de jouer de la crédulité des gens, en mélangeant vérités, approximations et
mensonges purs et simples. Et ce qui marche pour
l'énigme sacrée marche aussi dans notre vie de tous les jours.
Si le sérieux des trois journalistes en a fortement pris un coup suite à la parution de
l'Enigme sacrée, force est de reconnaître qu'ils ont su se trouver un filon
extrêmement juteux (bien plus que la recherche d'un éventuel trésor à Rennes-Le-Château). Certains ont suggéré l'influence d'une quatrième
personne,
Liz Greene, sœur de
Richard Leigh et petite amie de
Michael Baigent
à cette époque. En effet,
Liz Greene était une astrologue new-age adepte du culte du féminin-sacré, culte très proche de celui défendu par
L'Enigme sacrée et le Saint-Graal matrice de Marie-Madelaine. Des thèses qu'ils continueront de défendre contre vent et marée durant des années, avec
à la clé de nombreux autres récits, dont la suite directe de
l'Enigme sacrée,
Le Message, accréditant encore et encore la thèse de la
conspiration et du secret.
L'Enigme sacrée a été une source d'influence énorme, nourrissant bien entendu la production ésotérique à venir, mais aussi des auteurs plus
mainstream. Deux en particulier ressortent tout particulièrement. Tout d'abord
Dan Brown, qui se nourrira de
L'Enigme sacrée
pour écrire son
Da Vinci Code (et qui aura le droit en prime à un procès avec
Richard Leigh et
Michael Baigent), et ensuite
Umberto Eco qui lui jouera avec les codes de
L'Enigme sacrée dans son savant
le pendule de Foucault, dénonçant le genre avec le talent qui lui est propre.
L'Enigme sacrée est-il un bon livre? Oui, si l'on en croit l'impact et la succès qui fut sien. Non, si l'on s'en tient aux purs critères de crédibilité et de
réalité historique. Maintenant, comme en religion, c'est à chacun de se faire son opinion, une opinion qui bien souvent ne se préocuppe que très peu de preuves.