Dom Cobb est, plus qu'un as de la cambriole, un maître absolu dans l'art périlleux de l'"extraction", qui consiste à s'approprier les secrets les plus précieux d'une personne en les tirant de son subconscient pendant qu'elle rêve et que son esprit est le plus vulnérable. Ce talent rare a fait de lui un allié très prisé du milieu de l'espionnage industriel, mais aussi un fugitif contraint de parcourir la planète après avoir perdu tout ce qu'il avait de plus cher. C'est alors qu'on lui offre une chance de se racheter. Une ultime mission qui pourrait lui rendre sa vie d'avant, mais à une seule condition : réussir l'impossible, l'"inception". Il ne s'agit plus cette fois de voler une idée, mais au contraire de l'implanter dans le cerveau de la victime. Si Cobb et son équipe de spécialistes y parviennent, ce sera alors le crime parfait.

 

 
Des rêves sens dessus dessous
 
Inception aura mis un certain temps avant de se concrétiser. En effet, le réalisateur, Christopher Nolan, en avait déjà vendu le pitch à la Warner Bros en 2001. Mais il faudra attendre juin 2009 pour que le premier coup de manivelle ne soit donné. Huit ans durant lesquelles le cinéaste (et scénariste) aura peaufiné son histoire, la faisant passer de film d'horreur (un Freddy like?) à ce qu'il est aujourd'hui, à savoir un blockbuster mélangeant science-fiction à la Matrix, espionnage à la James Bond, et film de braquage à la Ocean's Eleven.
Très vite, Christopher Nolan se rend compte que son film ne pourra que coûter cher (mais ses précédents films, The Dark Knight en particulier, ont prouvés qu'il était capable de gérer un budget conséquent). Le budget du film sera finalement de 160 millions de $, auxquels viennent s'ajouter 100 millions de $ rien que pour la campagne marketing. Le studio lui propose alors de tourner son film en 3D (une technique qui a, aux yeux des studios, fait ses preuves depuis le phénoménal succès d'Avatar). Mais Nolan de rester ferme: son film ne sera pas tourné en relief! La raison invoquée est qu'un film comme Inception est trop compliqué pour que le public soit en plus perturbé par des effets en 3D.
 

 
Le premier acteur à avoir été engagé fut Leonardo DiCaprio. Il fut d'ailleurs le seul à avoir été envisagé dans le rôle du héros, Cobb. Le choix du premier rôle féminin, Ariane, fut plus incertain, car avant Ellen Page furent pressentis Evan Rachel Wood (The Wrestler), Emily Blunt (le diable s'habille en Prada), Rachel McAdams (Sherlock Holmes), ou bien encore Emma Roberts (Aquamarine).
Se retrouvent à l'affiche de ce film pas moins de cinq nominés aux Oscars (Tom Berenger, Leonardo DiCaprio, Pete Postlethwaite, Ken Watanabe, et Ellen Page), et deux récompensées (Michael Caine et Marion Cotillard). Bref, un casting de très haute volée.
Christopher Nolan prouve encore une fois avec Inception sa fidélité envers ses collaborateurs, puisque l'on retrouve un nombre impressionnants de récidivistes: Ken Watanabe, déjà vu dans Batman Begins, Cillian Murphy, vu lui aussi dans Batman Begins, et brièvement dans The Dark Knight (d'ailleurs, l'acteur se retrouve dans tous ces films avec un sac sur la tête, Nolan en voudrait-il à son acteur?), Michael Caine bien sur (avec Batman Begins, The Dark Knight ainsi que Le Prestige), ou bien encore Russ Fega, croisé dans Memento et Le Prestige.
 

 
Christopher Nolan entraînera ses acteurs à travers le monde, le tournage se déroulant en partie à Tokyo, Los Angeles, Tanger, Calgary, Londres et enfin Paris. La multiplication des lieus des tournages montre bien le désir (avoué) du cinéaste de tourner en quelque sorte son propre James Bond, le film en reprenant d'ailleurs de nombreux codes (comme par exemple, mais ce n'est pas le seul, la poursuite en ski).
Le réalisateur, en plus de la franchise 007, avoue plusieurs autres influences: Matrix, Dark City, ou bien encore passé virtuel. Du film d'Alex Proyas on retrouve les villes quasi-vivantes, des villes qui se plient à la volonté des hommes, ainsi qu'une réalité faussée; des deux autres films (qui ont d'ailleurs comme influence commune le roman Simulacron 3 de Daniel F. Galouye) on retrouve les mondes virtuels pratiquement impossibles de différencier de la réalité. Du chef d'œuvre des frères Wachowski on retrouve aussi ses combats en apesanteur et au ralenti. Mais loin de plagier ses aînés, Christopher Nolan en fait quelque chose d'original et d'unique.

 

 
Le film est volontairement compliqué (une constante chez Christopher Nolan), laissant le spectateur se poser des questions, et pas seulement lors du dernier plan du film. Où s'arrête la réalité et où commence le rêve? Le film imbrique les rêves les uns dans les autres, mais existe-t-il une réalité? Après tout, de nombreux points laissent à penser que tout cela n'est qu'un rêve (comme le laisse d'ailleurs entendre le personnage d'Ariane):
 la toupie du dernier plan: va-t-elle tomber, prouvant alors que nous sommes dans la réalité, ou alors va-t-elle continuer à tourner? Le fait que le personnage de Cobb s'en désintéresse, lui qui semblait si attaché à son totem (mais est-ce vraiment le sien?), laisse sous-entendre que lui-même sait bien qu'il est toujours bloqué dans les limbes.
 les enfants de Cobb, toujours au dernier plan, qu'il retrouve dans la position exacte où il les avait laissé lorsqu'il fut obligé de fuir les Etats-Unis.
 la présence de Miles à l'aéroport JFK est elle aussi étrange, lui que l'on imaginait plutôt à Paris.
 les incursions continuelles des rêves de Cobb (Mal ou bien encore le train dans la rue de New-York) dans les rêves d'autrui laissent entendre que tout cela n'est issu que de sa propre psyché. Après tout, il est le seul à interagir ainsi sur les rêves des autres, et, encore une fois, le personnage d'Ariane (l'architecte, celle qui sait comment fonctionnent les niveaux de rêves) le lui fait remarquer.
Si l'on suit cette trame scénaristique, tout le film prend une tournure différente, et chaque personnage une place légèrement différente. On peut même aller jusqu'à imaginer que c'est lui, Cobb, qui est le sujet de l'inception, avec comme but de le faire quitter son univers onirique.
 la vie d'espion bigger than life de Cobb est en soit étrange (et là aussi Ariane le signale). Interdit de retour dans son pays (coincé dans les limbes sans retour à la réalité possible, en tout cas jusqu'à l'arrivée providentielle de Saito), errant de par les continents (les limbes), Cobb se construit une vie où il est le héros, mais sa culpabilité et ses remords le rattrapent, l'obligeant à s'enfoncer de plus en plus profondément dans les strates de rêves.
 

 
Mais bien sur cette théorie n'est pas la seule possible, ne serait-ce que parce que le film est écrit de manière à faire pencher la balance dans la théorie qui est proposée au spectateur, à savoir une inception sur la personne de Robert Fischer, avec une équipe montée par Cobb et son commanditaire Saito. Cette histoire, en plus d'être la plus simple à suivre, présente aussi l'avantage d'expliquer tous les événements de façon relativement claire, et propose un happy end si cher aux spectateurs. Dans ce cas, l'inception en elle-même ne présente pour ainsi dire aucun intérêt, et peut facilement être considéré comme un McGuffin.
Mais une foule d'autres hypothèses peuvent être émises, oscillant entre les différentes possibilités scénaristiques. Bref, on comprend aisément pourquoi il aura fallu huit ans à Christopher Nolan, qui signe son premier scénario original depuis son premier film, Following, en 1998, pour aboutir à cette histoire. D'ailleurs, les héros des deux films ont comme par hasard pour nom Cobb, et sont tous les deux des cambrioleurs.
 
Si vous avez aimé Inception, vous aimerez aussi:
 

 
Christopher Nolan maîtrise de façon implacable la technique cinématographique, arrivant aisément à créer un suspense imbriqué dans un suspense imbriqué dans un suspense sans jamais perdre le spectateur en route. En même temps, il offre un blockbuster d'action qui laisse loisir au spectateur de réfléchir et de se faire sa propre idée. Et tout cela, sans l'aide d'une seconde équipe (ce qui veut dire que chaque image que l'on voit à l'écran a été shootée par le cinéaste). Le tout sans jamais oublier la direction d'acteurs (mais avec un tel casting, faut-il s'en soucier?).
Seule ombre (toute petite) au tableau, Inception s'avère être un film bien trop cartésien pour un film ne parlant que de rêves.
Au moins, le film offre une fin ouverte, qui laisse au spectateur le choix de se faire sa propre idée. Le cinéaste laisse des indices ça et là (Yusuf, l'équivalent en arabe de Joseph, le prophète qui décrypte les rêves dans la Bible, Ariane; qui porte un nom prédestiné à son travail de guide onirique, Mal, la "méchante" de l'histoire, dont le diminutif est en soit une indication forte, et des dizaines d'autres encore) et permet à chacun de faire fonctionner ses neurones en sortant du film. Et que demander de plus d'un film: qu'il nous amuse et qu'il nous fasse réfléchir!
 
PS: que ceux qui pensent que le cinéaste a mis la musique de Piaf en hommage à Marion Cotillard se détrompe, la chanson avait été choisie bien avant que l'actrice ne soit castée, et a bien failli être remplacée justement parce que Marion Cotillard allait jouer dans le film.