
Le
Cycle de Terremer se découpe en deux époques. La première s'étale de 1968 à
1972 et correspond aux premiers volumes de la saga (
Le Sorcier de Terremer,
Les Tombeaux d'Atuan et
L'Ultime rivage, de nos jours
considérés comme un seul roman nommé
Terremer). La seconde, plus récente, commence en 1990 (avec
Tehanu), pour se terminer en 2001 (avec le recueil de nouvelles
Les Contes de Terremer et avec
Le Vent d'ailleurs). Si le premier cycle est clairement marqué par le
thème du voyage initiatique, le second cycle ce concentre quand à lui bien plus que l'impact de l'homme sur la nature et sur la rédemption.
Les dragons, symboles de la Nature, incapable dans notre monde ni de montrer sa souffrance vis à vis des ravages causés par l'homme, ni que de se rebeller, sont dans
le Cycle de Terremer, ceux par qui la Nature cherche à empêcher aux hommes de faire plus de mal qu'ils
n'en font déjà, et ce avant qu'il ne soit trop tard. Le fait que certains soient des hybrides (Tehanu et Orm Irien) montre que dans les faits, certains ont conscience du
mal que la race humaine fait autours d'elle, et qu'ils agissent pour diminuer cet effet dévastateur. D'ailleurs, même parmi les humains 'purs', certains luttent pour que
l'homme et la nature vivent enfin en paix: Lebannen, le roi, symbolisant le pouvoir (qu'il soit politique ou bien financier), les mages de Roke (les philosophes), et même certaines
petites gens, comme Aulne (qui symbolise le peuple). Dans le cas de ce dernier, son personnage possède la même symbolique que Frodo et ses compagnons dans
Le Seigneur des Anneaux, à savoir que même la plus insignifiante des personnes a un rôle à
jouer, et peut changer le monde. Tehanu aussi joue ce rôle, quoique de façon encore plus spécifique: Elle représente la personne handicapée, trop souvent
stigmatisée dans notre société, quand bien même elle peut apporter de nombreuses choses (et dans le cas de Tehanu ce n'est rien d'autre que l'avenir du monde).
Ursula Le Guin brasse aussi s'autres thèmes majeurs dans sa saga, et plus particulièrement dans
le Vent d'ailleurs. Ainsi, l'incompréhension entre les peuples (les kargues, les dragons, et les havnoriens), qui, au lieu de chercher à se comprendre, se font la
guerre (souvent bien plus facile que de travailler autour d'une table et de chercher à résoudre des problèmes de voisinage ou autre), est au centre de ce roman. Et bien
sur, comme toujours chez
Ursula Le Guin, la solution passera par la paix et l'empathie (et finira par un mariage). L'autre
thématique centrale de ce roman n'est autre que la mort. Que devient-on après la mort? Si la littérature mondiale en discute depuis des millénaires, sans jamais
tomber d'accord (les guerres de religion sont là pour prouver ce désaccord), l'auteur du
Cycle de Terremer
arrive très intelligemment à résumer les croyances majeures de notre siècle (la réincarnation, le départ de l'âme vers un autre monde,
l'enfer du néant, ou au contraire le désir de l'atteindre). Le monde de l'après-vie, déjà abordée dans
L'Ultime rivage, est ici analysé en profondeur par les différents protagonistes du récit, et n'est
pas sans rappeler celui décrit par
Philip Pullman dans
Le Miroir d'Ambre. Il est d'ailleurs frappant de voir à quel point les versions des deux auteurs se confondent,
et dans la description de la mort, et dans la solution trouvée pour échapper à cette situation.
Encore plus que dans les précédents volumes du cycle,
Ursula Le Guin s'éloigne des poncifs de
l'Heroic Fantasy, où les conflits se règlent toujours par la violence, l'arme (ou le sort) à la main. Dans
le Vent d'ailleurs, le lecteur pourra toujours chercher
le sang et le combat, il n'en trouvera point. Ainsi, la saga du
Cycle de Terremer, comme le voulait son auteur, se
différencie de la concurrence sur la forme, sur le fond, et par dessus tout, sur la qualité.
Et quel plaisir de retrouver les personnages de la saga, que ce soit Ged, Tenar, Lebannen, ou bien encore Tehanu et même Orm Irien (alias Libellule - Dragonfly en anglais, le nom du
personnage étant beaucoup plus révélateur en anglais qu'en français)!
Avec
Cycle de Terremer,
Ursula Le Guin a écrit ni
plus ni moins que l'une des meilleurs sagas contemporaines de fantasy, pleine de poésie et d'humanité. Un grand moment de littérature!