Ursula Le Guin, à la fin de
Tehanu, pensait
sincèrement en avoir fini avec son
Cycle de Terremer. Narrativement terminé, l'histoire correspondait
à la fin des aventures de Ged, qui retrouvait Tenar (découverte dans
Les tombeaux d'Atuan), se
mariait avec elle, sur le crépuscule de sa vie, et coulait ses derniers jours heureux. La relève était toute trouvée, avec d'un côté un roi en
Terremer (remplaçant ainsi Ged dans le rôle de l'homme le plus puissant du monde connu), et de l'autre une nouvelle génération d'êtres exceptionnels,
dont Tehanu en est l'exemple le plus frappant. Mais, le temps passant, l'auteur se rend compte qu'elle a non seulement encore des choses à raconter, mais en plus l'envie de retourner
dans cet univers si riche et passionnant. Et le fait que les fans en redemandent joue bien évidemment dans la balance.
Mais au lieu de revenir avec un nouveau roman,
Ursula Le Guin préfère (dans un premier temps), écrire des
nouvelles, se déroulant dans ce qu'elle considère comme étant le passé (le présent étant la fin du roman
Tehanu). Celui lui permet de creuser certaines trames narratives que l'auteur juge dignes d'intérêt. Cette
approche n'est pas sans rappeler celle de
J.R.R. Tolkien, qui n'aura de cesse toute sa vie durant, de travailler encore et encore
le passé de sa Terre du Milieu, au point de ne jamais arriver à éditer de son vivant le roman qui lui tenait le plus à coeur, à savoir
le Silmarilion. Sans atteindre le niveau de complexité et de cohérence de l'univers de
J.R.R. Tolkien,
le monde de Terremer se montre toutefois l'un des plus fouillé et travaillé du genre. Preuve en est l'appendice de l'auteur faisant suite aux nouvelles de ce recueil,
où l'auteur revient sur les cultures, les moeurs, les croyances et l'histoire des peuples de son monde.
Ursula Le Guin n'est pas tendre avec le monde de l'édition, en particulier dans le genre heroic-fantasy, déclarant
que la grande majorité des oeuvres ne sont rien d'autres que des produits, totalement interchangeables, sans originalité, offrant au public uniquement ce qu'il s'attend
à y trouver. Et surtout, ne laissant aucune place à l'imagination (un comble pour un genre qui se veut justement libérateur de l'imaginaire de son auteur et de ses
lecteurs). Et force est de lui donner raison, tant la production littéraire actuelle surfe honteusement sur les poncifs guerriers nés de l'imaginaire d'auteurs comme
R.E. Howard (le père de
Conan le barbare),
J.R.R. Tolkien (même si l'oeuvre de
Tolkien est bien plus que cela), ou bien encore
Michael Moorcock
(
le cycle d'Elric de Melniboné). Le tout encore plus influencé (on pourrait même dire formaté)
par l'univers du jeu de rôles, Donjons & Dragons en tête, avec tout ce que cela comporte de stéréotypes (personnages, situations, narration, ...). Et
Ursula Le Guin de vouloir absolument éviter de rentrer dans ce moule creux mais paradoxalement rentable. Force est de
constater qu'elle y arrive à merveille, offrant à son public une saga riche, émouvante, où les mots et les émotions sont à la base de tout
(contrairement à l'heroic-fantasy standard où seules les épées et la violence sont représentés). L'auteur arrive à faire ressentir à
son lectorat des sentiments que l'on croyait banni du genre depuis bien longtemps. En un mot comme en cent:
Ursula Le Guin
offre un récit humain!
L'homme est au centre de son récit. Qu'il soit simple chevrier, archimage, ou bien musicien de village. Toute sa saga n'est qu'autre qu'une longue et perpétuelle quête
de l'humanité de chacun, ainsi que de la place de l'homme sur Terre. L'écologie, l'amour de la terre, ainsi que du labeur bien fait, sont des constantes dans la saga de
Terremer, et font de ce cycle l'une des références majeures du genre.
Et ce n'est pas pour rien que ce recueil a reçu pas mois de trois prix Locus (Meilleure novella pour
Le Trouvier, Meilleure nouvelle courte pour
les os de la terre,
et meilleur recueil pour
les contes de Terremer.