
Si voir un auteur revenir après plusieurs décennies sur l'un de ses sagas peut faire peur, quelques exemples sont là pour prouver le contraire. C'est par exemple le
cas d'
Isaac Asimov qui mit trente ans entre la fin de son premier
cycle de Fondation (
Seconde Fondation) et sa
suite (
Fondation foudroyée).
Ursula Le Guin
quand à elle mettra dix-huit ans entre
L'Ultime Rivage et
Tehanu. Et pour elle aussi les années
n'ont eu aucun effet notable sur la qualité et la continuité de son récit. On pourrait même dire que le cycle s'est bonifié avec l'âge. Si ce roman
est la suite directe de
L'Ultime Rivage (on retrouve en effet Ged exactement là où on l'avait laissé
dans l'histoire), l'auteur nous fait retrouver l'héroïne des
Tombeaux d'Atuan, Tenar, âgée,
mère de deux enfants, et d'une humanité rare en fantasy.
LA grande force de cette saga est d'ailleurs de se concentrer avant tout sur les personnages, qui s'éloignent considérablement des poncifs du genre, avec une femme (Tenar)
entre deux âges, veuve et ayant la responsabilité d'une ferme, et d'un homme (Ged) n'ayant plus rien dans la vie (plus de pouvoirs, aussi bien magiques qu'en termes
d'influence), usé par l'existence et ne désirant plus qu'une chose: finir sa vie avec ses chèvres. On est très loin des héros de fantasy cherchant la
gloire et la fortune en allant combattre dragons, sorciers et autres chevaliers démoniaques.
Tehanu est en effet un roman où l'héroïsme guerrier n'a pas
sa place, contrairement à l'héroïsme de tous les jours: il est en effet bien plus difficile de gérer ses problèmes journaliers que d'aller affronter un
ennemi (où seule la prouesse physique a sa place).
S'il est question de quête dans
Tehanu, c'est bien plutôt une quête intérieure (que l'on retrouvait d'ailleurs déjà traité d'une autre
façon dans le premier volume du cycle,
Le sorcier de Terremer), où l'auteur nous apprend à
profiter de la vie (et en particulier de l'amour de nos proches) avant qu'il ne soit trop tard). Ou quand l'Heroic-Fantasy démontre l'importance de l'amour de son prochain.
Tout comme une
Robin Hobb,
Ursula Le Guin arrive à
s'éloigner) voir à redéfinir) des règles d'un genre ultra codifié, où bien souvent les lecteurs cherchent à rester dans les sillons de leur
précédentes lectures (ce qui explique en partie le succès d'un auteur tel que
David Eddings).
Comme tous les précédents romans du
cycle,
Tehanu est avant tout une histoire d'apprentissage.
Apprentissage pour la jeune Terru, défigurée par ses indignes parents, qui doit réapprendre à vivre avec ce handicap physique, mais aussi qui devra se
découvrir, jusqu'à la révélation finale (que la lecture du quatrième de couverture a la "gentillesse" de nous dévoiler dès la
première ligne! Un grand merci aux éditeurs) qui entrainera l'histoire vers une universalité d'amour et de symbiose où l'homme et la nature se doivent de se
comprendre et de coopérer pour tout simplement survivre. En ces jours où l'écologie devient le fer de lance des politiques (et une obligation pour la planète),
le livre d'
Ursula Le Guin prend véritablement tout son sens.
Mais au lieu de prendre comme personnage de point de vue la jeune Terru, celle qui reçoit l'enseignement, comme s'est habituellement le cas dans tout récit d'apprentissage,
Tehanu se focalise sur Tenar, le mentor de l'enfant. Ce changement de focale, en dehors de sortir des sentiers (ra)battus, apporte une information habituellement absente de ce genre
d'histoire: la difficulté d'apprendre et de faire comprendre des choses justes. Tous les parents du monde doivent comprendre ce problème.
Encore un grand livre pour une auteure d'exception, à des lieues de ces auteurs d'Heroic-Fantasy interchangeables aux histoires mille fois lues.