Ursula Le Guin revient, après
Le sorcier de Terremer, dans son Univers magique. Mais au lieu de donner une simple suite classique, où Ged
tiendrait de nouveau le premier rôle, l'auteur décide intelligemment de changer de personnage de point de vue, et de ne faire du héros de
sorcier de Terremer "que" le second rôle. D'une certaine façon, on pourrait comparer ce choix à
celui de
J.R.R. Tolkien lorsqu'il écrivit
Le seigneur des anneaux; en effet, tandis que son éditeur le poussait à donner une suite aux aventures de Bilbo,
Tolkien ne fit du héros de
Bilbo le Hobbit qu'un simple protagoniste secondaire de son nouveau récit, vieilli
et fatigué servant essentiellement de déclencheur dans l'histoire. Si Ged n'est pas dans
les tombeaux d'Atuan un vieillard, il a visiblement vieilli, même s'il
reste encore jeune et vaillant. En tout cas, une chose est sure, il a mûri. C'est au tour d'un nouveau personnage, Arha, de faire son apprentissage. Mais là où Ged
avait du voyager de part le monde, la jeune fille devra se contenter des murs de sa prison dorée, les fameux Tombeaux d'Atuan.
Si Ged devait lutter contre lui-même pour atteindre la sagesse, Arha quand à elle doit affronter son entourage, et plus dur encore, son éducation.
Ursula Le Guin, au travers des deux premiers livres du
Cycle de Terremer nous expose deux freins empêchant l'évolution personnelle: soi-même et l'extérieur. Lequel est le plus
difficile à combattre? Sans doute le second, à en croire l'auteur, car sans aide jamais Arha n'aurait pu se sortir de son embrigadement, contrairement à Ged qui a
su s'accomplir sans aucune aide extérieure.
Traité d'un point de vue intimiste, en lieu clos, la prise de conscience puis l'évasion d'Arha s'éloigne des poncifs de l'heroic fantasy guerrière, encore plus que
Le sorcier de Terremer, pourtant peu enclin à entraîner le lecteur vers un héroïsme
effréné. C'est d'ailleurs l'une des grandes forces de cette saga, qui arrive à se différencier de ses "concurrents". 40 ans après sa sortie, le roman
reste encore et toujours original, et, tout comme
Le seigneur des anneaux, reste une référence du genre.
Si le personnage de point de vue des
tombeaux d'Atuan est indéniablement Arha, la fin du roman tempère cette position. En effet, à partir du moment où la
jeune fille décide de quitter son univers, et donc de s'en aller vers l'inconnu, elle laisse Ged la prendre en main et la diriger, là où auparavant elle maitrisait la
situation, au point d'avoir le droit de vient et de mort sur tout un chacun. Discrètement,
Ursula Le Guin fait glisser le
lecteur d'Arha à Ged, mettant au final les deux personnages sur un pied d'égalité (montrant ainsi non seulement qu'homme et femme sont égaux, mais aussi que nul
n'est supérieur aux autres, serait-il un mage surpuissant face à une ancienne prêtresse d'un faux dieu). L'auteur nous prépare aussi au prochain tome, où
Ged reprendra son rôle de héros, là où il ne tenait que le rôle de mentor dans cet épisode.
Ursula Le Guin qui avait créé un monde fascinant dans
Le sorcier de Terremer a décidé sciemment de ne pas continuer sur sa lancée, et d'au contraire
se concentrer sur un seul et unique lieu de son monde, lieu où de plus pratiquement personne ne vit (c'est d'autant plus vrai dans le Labyrinthe où seule Arha a le droit
d'aller). Si le risque peut sembler fort de s'aliéner une partie de son public, il n'en est rien dans les faits, tant l'auteur maitrise sa narration et sait captiver son lecteur
même (surtout?) si rien ne se passe. Une grande leçon de narration.