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L'Echiquier du mal



 
L'Echiquier du Mal

Auteur

Dan Simmons

 

Genre

Fantastique
 

Année de sortie

1989
 

Résumé

Ils ont le talent. Ils ont la capacité de pénétrer mentalement dans notre esprit pour nous transformer en marionnettes au service de leurs perversions et de leur appétit de pouvoir. Ils tirent les ficelles de l'Histoire. Sans eux le nazisme n'aurait peut-être pas été cette monstruosité dont nous avons du mal à nous remettre, Lee Harvey Osvarald n'aurait peut-être pas été abattu par Jack Ruby, John Lennon n'aurait pas été assassiné devant chez lui, les fanatismes de tous ordres ne se réveilleraient pas de façon aussi systématique et nombre de flambées de violence, tueries, accidents inexpliqués, n'auraient peut-être pas ensanglanté notre époque. Car ils se livrent aussi entre eux, par " pions " interposés, à une guerre sans merci. A qui appartiendra l'omnipotence ? Sans doute à celui qui aura le plus soif de pouvoir.

 

Avis

Note :
 
1989 est sans doute l'année la plus importante de la carrière de Dan Simmons, puisque cette année là sortiront ce que d'aucuns considèrent comme ses deux plus grands romans à ce jour: l'échiquier du mal et Hypérion. D'un coup, Dan Simmons passe du stade d'inconnu à celui de référence absolue du genre, allant même jusqu'à s'attaquer aux plus grosses pointures du genre, que ce soit Stephen King dans le domaine de l'horreur (genre dans lequel se classe l'échiquier du mal) ou bien Isaac Asimov dans celui de la science-fiction (dont Hypérion renouvelle le genre). Stephen King ne s'y trompera pas, déclarant que Dan Simmons est son principal rival dans le genre. Ce qui n'empêchera par les deux hommes de devenir amis.
 
L'échiquier du mal, dont le titre anglais, carrion confort, pourrait se traduire par "putride réconfort", est un condensé du savoir faire d'un auteur au talent et à l'érudition rares. Le titre, tiré d'un poème écrit en 1885 par Gerard Manley Hopkins (que Dan Simmons citera au début de chacun des trois actes du roman), est déjà en soit une démonstration du talent d'un auteur sachant jouer sur le sens des mots et des idées. En effet, le titre fait clairement comprendre que douleur, sacrifice, et lutte acharnée seront les maîtres mots d'un roman qui s'avère riche en sens et en intensité. Peu d'auteurs arrivent en si peu de mots à un tel résultat.
Non content de citer un poète méconnu mais totalement en phase avec son histoire, Dan Simmons truffe littéralement son roman de références culturelles, et en particulier littéraire. La ou son concurrent principal, Stephen King, se limite à la culture populaire américaine ( d'un autre côté sa cible, l'américain moyen, l'oblige à ne pas se laisser emporter vers les hautes sphères culturelles, au risque de perdre son lectorat), Dan Simmons n'hésite pas à citer des auteurs allant, pour le côté populaire, de Robert Ludlum, John Le Carré, ou ben même de façon quelque peu ironique Stephen King, à des auteurs classiques étrangers (citons les français Choderlos de Laclos et le marquis de Sade). C'est bien là la force de Dan Simmons: citer des auteurs peu connus (du public américain) sans pour autant le perdre en route (Hypérion et son plus récent Ilium vont encore plus loin dans le genre).
Bien entendu, les échecs jouent un rôle primordial dans le roman (le titre français ne laisse d'ailleurs aucun doute la dessus). Le monde des échecs est un monde bien à part, où les fans connaissent les moindres parties coup par coup. Dan Simmons se devait, pour faire réaliste, ne pas prendre le sujet à la légère. Là encore, l'auteur a fait preuve d'une connaissance (ou d'un semblant de connaissance) du jeu hors norme, allant jusqu'à reproduire lors de la partie finale d'échec, l'une des parties les plus connues, celle opposant Boris Spassky à Bobby Fischer lors du championnat du monde d'échecs de 1972 (avec représentations d'échiquiers pour ne par perdre le lecteur). Le risque d'oublier son histoire en route était fort, mais Dan Simmons est arrivé à rendre la mythique partie et son histoire tellement cohérente qu'il est difficile d'imaginer l'une sans l'autre (chaque sacrifice et prise de pion ayant un sens par rapport à l'histoire). Humour et second degré viennent d'ailleurs s'ajouter à cette fameuse partie d'échecs. Bien sur, cet humour est plutôt destiné aux amateurs (voir aux fins connaisseurs) du jeu. Ainsi, Sutter, le télévangeliste y tient le rôle du fou; or, en anglais le fou est nommé bishop, qui signifie évêque. Un rôle sur mesure. Un autre exemple du fin jeu de l'esprit auquel se livre Dan Simmons: l'ancien nazi Wilhelm von Borchert utilise afin de vaincre son ennemi la technique dite de la défense Tarrasch, due au juif allemand Siegbert Tarrasch. Ainsi, la victoire ne peut être acquise que si, intellectuellement parlant, le cruel Oberst trahit ses convictions profondes. Bien sur, cela n'est jamais dit, la partie étant censée être une partie jamais jouée. Cela prouve en tout cas que l'auteur maîtrise le moindre de ses mots et de ses idées, rappelant en quelque sorte la finesse d'écriture de Frank Herbert, en particulier dans son roman le plus connu, Dune.
 
Loin de s'intéresser uniquement aux mots, et aux jeux d'associations en découlant, Dan Simmons livre avec l'échiquier du mal une critique acerbe et profonde de la société américaine des années 80, bien plus intelligente et efficace que nombre de romans prétendument plus sérieux. Sous des dehors de "simple" roman fantastique, le romancier aborde des sujets aussi sensibles que le racisme (un point central dans le roman, que ce soit vis à vis des juifs, ou vis à vis des noirs), la violence urbaine (les gangs, les meurtres, et en particulier celui des gens connus), la lutte des classes (le monstrueux personnage de Mélanie en est la démonstration la plus outrée), les retombées psychologiques de la guerre du Vietnam (et bien entendu celles de la seconde guerre mondiale). On retrouve aussi le prosélytisme religieux (et surtout ses dérives et ses réelles motivations), les manipulations des puissants (instances politiques et gouvernementales, puissance des médias). Et tout cela sans oublier le sexe, les romans de Dan Simmons (tout comme ceux de Stephen King) étant très fortement sexué. Mais là où Stephen King utilise le sexe comme appât, Dan Simmons s'en sert pour faire avancer son histoire et ses idées. Deux exemples: le premier est la liaison entre Gentry et Natalie. L'un est blanc, l'autre est noire. Cette liaison ne peut pas, en tout cas dans le sud américain des années 80, ne pas être lourde de sens. Second exemple: le rapport au sexe de Tony Harod. Doué du Talent, il utilise les femmes pour assouvir ses appétits sexuels. Ce personnage, dont les actes sont tous plus odieux les uns que les autres, est paradoxalement l'un des plus sympathiques du roman. Il faut dire qu'il stigmatise parfaitement à le rapport entre puissants de ce monde et gens du communs, et en même temps l'utilisation de la force par les plus faibles pour arriver à leur fin. De plus, faire de Tony un producteur de cinéma (dont l'idée reçue est de les voir coucher avec toutes les actrices) est un clin d'oeil amusant. Ce personnage est véritablement l'un des plus réussis du roman, voir de toute l'oeuvre de Dan Simmons.
Un autre personnage très fort du roman est bien entendu Saul, le survivant des camps de la mort (et de l'Oberst). Représentant à la fois le petit faisant chuter les géants (comme Frodo dans le seigneur des anneaux de J.R.R. Tolkien) et la mémoire de l'horreur que fut la seconde guerre mondiale; la description des camps de la mort dans ce roman est l'une des plus marquantes de la littérature, en tout cas en ce qui concerne les oeuvres de fiction (au même titre que le description des tranchées de Verdun dans la nouvelle le grand amant disponible dans le recueil l'amour, la mort du même auteur).
 
Bien évidemment, l'un des sujets principaux du roman est la manipulation des plus faibles par les grands puissants de ce monde, chaque personnage doué du Talent dans le roman représentant une certaine forme de puissance. Elle peut être religieuse, au travers du révérend James Wayne Sutter; directement lié à la possession de richesses (C. Arnold Barent, dont la richesse dépasse l'entendement, possède aussi un pouvoir dépassant de loin celui des autres, l'auteur montrant bien que l'argent est bel et bien le moyen de pouvoir le plus important en ce bas monde); liée au rapport de force (les nazis par rapport aux juifs, et plus particulièrement l'Oberst Wilhelm von Borchert face à son petit pion, Saul Laski); les médias (Tony Harod, le producteur hollywoodien vit un fantasme d'adolescent en couchant avec toutes les femmes qu'il d´sire sans jamais avoir à demander la permission), l'une des formes majeures de contrôle des masses est largement pointé du doigt (Nina Drayton, décrite comme possédant l'une des formes les plus puissantes du talent, travaille pour un célèbre magazine); les institutions d'état (FBI et CIA) elles aussi n'échappent pas à l'oeil de Dan Simmons, avec pas moins de deux vampires psychiques (Kepler et Colben); les instances politiques aussi n'échappent pas à la règle, avec le personnage de Trask; enfin l'aristocratie (Melanie, qui représente les grandes familles riches et influentes, est vue comme la plus puissante de tous les vampires psychiques, mis à part C. Arnold Barent). Chaque possesseur du talent l'utilise pour des raisons différentes, mais on retrouve pratiquement chez tous l'envie de dominer l'autre (la domination absolue étant le pouvoir de donner la mort), l'argent, le pouvoir politique (un des monstres cherche même à devenir président des U.S.A.), et bien entendu le sexe.
Tous sont en haut de la pyramide sociale, comme si la pomme était pourrie et que seuls les monstres pouvaient se la partager. Dans une société corrompue, sans coeur, ou l'esclavagisme est monnaie courante, seuls les vampires peuvent attendre le haut de la pyramide.
A l'inverse, en bas, du côté des faibles, on retrouve un rescapé des camps de concentration, une jeune étudiante noire, et un obèse (le shérif Gentry). Bref, que les laissés pour compte de la société américaine. Heureusement, tout n'est pas aussi sombre, puisqu'à forte de lutte (souvent inégale), les faibles arrivent à vaincre. La révolution (le mot est cité par l'un de personnages secondaires de l'histoire, lui aussi laissé pour compte de la société) peut aboutir à un ordre nouveau. Et si finalement, l'humanité n'était pas aussi pourrie que cela? Que seule une poignée était responsable de tous les malheurs du monde (et ce 10 ans avant le 99F de Frédéric Beigbeder et 15 ans avant son adaptation cinéma)? Si seulement....
Ce qui est sur, c'est qu'au travers de ce roman, l'auteur exorcise sa douleur de la seconde guerre mondiale, ainsi que celle du peuple juif. Et de quelle manière!
 
Mais que tout cela ne fasse pas oublier que l'échiquier du mal est aussi (surtout?) un roman mêlant action et horreur avec un brio rarement égalé, comme seul Dan Simmons en a le secret. Ce roman est un condensé d'action pratiquement non stop pendant les 1000 pages du roman.
L'échiquier du mal fut très justement couronné par le Locus du meilleur roman d'horreur en 1980, faisant entrer et l'auteur et son livre dans la cour des grands.

Descriptif

Détail des deux tomes comportant la saga de l'Echiquier du Mal
 
Titre
Année
 
L'Echiquier du Mal, Tome 1
1989 L'Echiquier du Mal, tome 1   L'Echiquier du Mal, tome 2
L'Echiquier du Mal, Tome 2
1989