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Academy of Science Fiction, Fantasy & Horror Films |
Catégorie |
Année | Bénéficiaire
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Meilleur DVD | 2003 |
![]() Stuart Gordon peut être considéré comme le cinéaste le plus prolifique adaptateur au cinéma de l'œuvre du maître de l'horreur, H.P. Lovecraft. En effet, avant de s'attaquer à de Dagon, il avait déjà réalisé deux classiques du genre, Re-Animator en 1985 et Aux portes de l'au-delà en 1986, ainsi que le moins connu Castle Freak en 1995. Par la suite, dans le cadre de la série Masters of Horror, il livrera un Cauchemar de la sorcière toujours tiré des écrits du reclus de Providence. L'autre grand spécialiste de Lovecraft n'est autre que le producteur Brian Yuzna, qui, en plus d'avoir produit les deux films de Stuart Gordon (Re-Animator et Aux portes de l'au-delà), compte à son actif plusieurs autres adaptations de l'auteur: Re-Animator 2, la fiancée de Re-Animator et Beyond Re-Animator (qu'il a dans les deux cas lui-même réalisé), et bien entendu Necronomicon (qu'il a la aussi en partie réalisé). Stuart Gordon et Brian Yuzna avaient en tête ce film depuis très longtemps (1985 pour être précis), mais il n'avait jamais réussi à le faire produire. Il faudra attendre que Brian Yuzna ne créé la Fantastic Factory en Espagne pour que le projet puisse se monter. Dagon sera l'un des tous premiers films de la jeune (et maintenant défunte) compagnie. ![]() Dagon s'inspire plus ou moins librement de deux nouvelles d'H.P. Lovecraft: Dagon, tout d'abord, mais surtout Le Cauchemar d'Innsmouth, dont le film est une adaptation (relativement) fidèle. On retrouve la trame générale de l'histoire (un jeune homme lettré qui fait escale dans un petit village où vivent des adorateurs de Dagon, des êtres mi-humains mi-créatures marines, et dont le héros se découvrira un lien familial inattendu), les personnages (aux noms changés, pour la plupart hispanisés), ainsi que l'ambiance de dégénérescence et d'horreur. Pour ce qui est des noms, il est possible de faire une translation film-nouvelle dans pratiquement tous les cas: Paul Marsh - Robert Olmstead; Ezequiel - Zadok Allen; Capitaine Orpheus Cambarro - Obed Marsh; Javier Cambarro - Barnabas Marsh; Imboca - Innsmouth (une traduction approximative du nom de la ville en espagnol); Hotel del Mar - Gilman House; Esotérica Orden de Dagón - Ordre Esotérique de Dagon. Seules les femmes échappent à cette règle, et pour cause: chez Lovecraft il n'y a pratiquement jamais de femmes. Et s'il y en a, elles ne sont jamais ni séduisantes, ni tentatrices, ni jeunes. Bref, l'opposé absolu de ce que l'on a ici. ![]() En effet, Dagon met en scène trois femmes, Bárbara, Uxía Cambarro et Vicki. Si la dernière est plutôt anecdotique, les deux autres par contre jouent un rôle non seulement important (primordial même), mais aussi et surtout contraire à tout ce qu'a toujours écrit Lovecraft. On a en effet dans ses deux femmes les deux faces classiques d'une même pièce: ![]() ![]() Tous ceux qui ont un tant soit peu lu Lovecraft savent que l'homme avait tout simplement banni la femme de ses écrits, l'horreur étant en quelque sorte une affaire d'hommes. Et étonnamment, que ce soit Stuart Gordon (dans tous ses films) ou Christophe Gans (dans Necronomicon) ont à chaque fois fait se déshabiller des filles dans les films tirés de Lovecraft. ![]() Mais Stuart Gordon s'est permis d'autres libertés par rapport à l'univers Lovecraftien dans Dagon. Tout d'abord, en faisant se dérouler l'histoire de nos jours. Si à priori on peut y voir un artifice scénaristique permettant de diminuer les coûts d'une production désargentée, on se rend bien compte que ce n'est pas une raison valable dans le cas présent. En effet, à part quelques passages rares (le téléphone portable, le laptop), tout le reste se déroule dans un village justement en dehors du temps. Or, et bien involontairement pour H.P. Lovecraft, l'une des forces de ses écrits est justement de se dérouler à une époque de grandes découvertes à la fois scientifique et géographique (le plus bel exemple étant la nouvelle les montagnes hallucinées). Le Cauchemar d'Innsmouth joue lui aussi sur cet inconnu qu'est le grand fond océanique. A cela s'ajoute la confrontation entre la science et la religion (ou les croyances des peuples non occidentaux chez Lovecraft), une confrontation qui fait toujours des étincelles chez l'écrivain. Or, ces chocs culturels et peurs ataviques n'existent plus de nos jours, où la mondialisation a pris le pas sur l'isolationnisme (en effet comment imaginer dans l'Espagne actuelle un village portuaire habité par des créatures monstrueuses, ignoré de tous?). L'autre écart notable de la part de Stuart Gordon est son désir affiché de donner à son héros un certain côté comique. En effet, il voit dans son Paul une sorte de Woody Allen plus jeune qui se retrouve confronté à des horreurs abominables. Quand à son acteur, Ezra Godden (qu'il dirigera de nouveau pour son épisode des Masters oh Horror, le Cauchemar de la sorcière), il basera son jeu sur Harold Lloyd. Un personnage qui n'est pas, c'est le moins que l'on puisse dire, la quintessence du héros de film horrifique. Un choix pour le moins étrange, les nouvelles de Lovecraft étant toujours très premier degré dans l'horreur. ![]() Le fait de placer son histoire de nos jours a permis au producteur Brian Yuzna de placer un anecdote qui lui est réellement arrivé. Agressé par un homme, sa femme s'est défendu a coup de téléphone portable, déclarant après coup qu'il lui faudrait un plus gros téléphone. Une remarque reprise telle quelle dans Dagon par Ezra Godden. Une pointe d'humour là aussi en déphasage avec l'histoire, et qui a pour effet de surprendre le spectateur. C'est d'autant plus dommage que le réalisateur avait soigné les détails. Par exemple, son héros porte un tee-shirt de la Miskatonic Univesity, l'université fictive créé par Lovecraft, et d'où viennent la quasi-totalité de ses héros. C'est aussi là où se déroule l'histoire de Re-Animator. Une bonne idée aussi, absente du roman, l'usage fait par les villageois de leurs victimes. En effet, ils utilisent la peau de leurs victimes, et en particulier le visage, pour masquer leurs difformités. On retrouve cette idée dans une autre nouvelle de Lovecraft, Celui qui chuchotait dans les ténèbres. L'avoir ajoutée ici est plutôt une bonne idée. Par contre, et toujours pour ce fameux problème de cohérence vis à vis de la mondialisation et de la rapidité de l'information (d'ailleurs, comme pour enfoncer le clou de ce problème, le film commence par nous montrer le héros connecté à internet à quelques centaines de mètres à peine du village d'Imboca), le fait d'avoir exagéré les malformations des villageois par rapport à la nouvelle joue contre le film. Si visuellement, cela peut paraître plus efficace sur le coup, au final, le spectateur a du mal à croire à l'existence d'une telle communauté. ![]() Le film est cependant très généraux en effet horrifiques, en particulier au vu du budget anémique (moins de 5 millions de $). Dagon compte un nombre impressionnant de monstres plus ou moins touchés par la difformité, souvent entrevus mais de façon régulière. D'ailleurs, le fait de seulement les entrevoir présente l'avantage de faire douter le spectateur (dans un premier temps), puis de faire travailler son imagination. De ce point de vue là, l'apparition finale de Dagon est typiquement Lovecraftienne, c'est à dire fugace, horrible, et où il est bien difficile de décrire en détail la créature (elle a des tentacules, voilà l'essentiel de ce qu'il faut retenir). Le tout agrémenté, pour le plaisir des yeux mais pas pour le respect de l'œuvre originelle, de belles femmes dénudées. Tout comme pour les créatures (d'ailleurs, souvent ce sont les mêmes), ces apparitions sont régulières, commencent dès les premières images du film et s'étalent pratiquement jusqu'à la fin. Un brin racoleur, il faut bien l'admettre. ![]() A noter que ce film est dédié à l'acteur Francisco Rabal, un homme à la carrière longue comme le bras, dont Dagon aura été le dernier film. Si vous avez aimé Dagon, vous aimerez aussi:
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Dagon, considéré par certains fans comme le film le plus fidèle aux écrits d'H.P. Lovecraft, a pourtant
bien du mal à se hisser au niveau de ses ambitions, lui qui avait pourtant tout pour être un pur film de flippe. A cela trois raisons essentiellement: un humour, en particulier
attaché au personnage principal, qui créé une distanciation entre lui et le spectateur; une histoire contemporaine qui aurait mérité à se retrouver en ce
début de XXème siècle si Lovecraftien; et enfin des effets spéciaux numériques parfois trop cheap pour
convaincre (et il n'y a rien de pire qu'un effet spécial raté pour ridiculiser un film).
Dommage, car pour son grand retour au mythe Lovecraftien, Stuart Gordon était attendu au tournant. Bizarrement, c'est via une série télévisée, le Masters of Horror, que le cinéaste livrera son œuvre la plus fidèle au reclus de Providence. ![]() |