Theodore Roszak avait été salué par les critiques et les lecteurs pour son précédent
roman,
La Conspiration des ténèbres, habile roman où se mêlent
sociétés secrètes, disparition mystérieuses, et cinéma populaire. Avec
Les Mémoire d'Elizabeth Frankenstein, l'auteur quitte notre
époque contemporaine pour se plonger dans l'Epoque Gothique par excellence, la fin du XVIIIème siècle. Mais surtout, il s'attaque à un mythe, en décidant
de raconter l'histoire à priori figée dans le marbre du
Frankenstein de
Mary Shelley. Ce roman, considéré à juste titre comme l'un des
grands chefs d'oeuvre de la littérature fantastique, était écrit du point de vue du baron Frankenstein, qui narrait à un témoin, Robert Walton, son
incroyable histoire. Si tout semblait avoir été dit,
Theodore Roszak décide de s'atteler à une
tâche incroyablement audacieuse: raconter la même histoire du point de vue d'un autre personnage, et ainsi totalement transformer la vision de l'histoire. Et de l'auteur de ne
pas prendre n'importe quel personnage, mais bel et bien le seul personnage féminin du récit, à savoir la fiancée de Victor Frankenstein, Elizabeth.
Mais pourquoi un tel choix de personnage? Et bien tout simplement pour rendre hommage à l'auteur,
Mary Shelley, femme en avance sur son temps, en transposant dans le
personnage de fiction une version fantasmée de ce qu'aurait pu être une femme libérée au XIXème siècle. Mais pour que cela ait un effet sur
le lecteur moderne, l'auteur se doit d'aller plus loin que ce qu'aurait pu écrire (et faire) une femme de cette époque. D'après
Theodore Roszak Mary Shelley aurait mis beaucoup d'elle dans ce personnage, et l'écrivain de vouloir aller plus
loin dans l'hommage, en faisant d'Elizabeth une femme de premier plan dans cette histoire, là où le récit originel n'en fait qu'une simple victime.
En bref,
Theodore Roszak a mis la barre très haut en termes d'ambition narrative.
Il n'est cependant pas le premier à revisiter une histoire connue du point de vue d'un personnage secondaire. Mais dans la grande majorité des cas, c'est l'auteur
lui-même qui s'attaque à la relecture de son oeuvre. Pour ne citer que deux cas notable, toujours dans le genre fantastique:
Orson Scott Card qui avec
La stratégie de l'ombre réinvente sa
stratégie Ender, et
Anne Rice qui raconte la même histoire dans
Entretien avec un vampire et
Lestat le Vampire, du point de vue des deux principaux protagonistes (et aussi
antagonistes).
Tout comme dans
La Conspiration des ténèbres les sociétés secrètes jouent
un rôle prépondérant dans l'histoire. Ici, ce sont les matrones, adeptes de la libération féminine en avance sur leur temps, et les alchimistes. Les
membres d'une confrérie pouvant tout à fait être membre de l'autre. Si pour la majorité des gens alchimie est synonyme de transformation de plomb en or, chez
Theodore Roszak ce n'est pas le cas. Pour lui, cette idée répandue est celle des ignorants. La théorie
défendue dans son roman est celle d'une initiation sexuelle, visant à unir l'homme et la femme nous seulement physiquement mais aussi et surtout psychiquement, faisant de deux
être un seul. Et de
Theodore Roszak d'enchaîner les séances érotico-éducatives, où
bien entendu Elizabeth Frankenstein y joue le premier rôle. Ainsi que Victor Frankenstein, le père de la mythique créature. Mais le fameux docteur de s'avérer un
bien piètre élève, et de dénaturer les travaux alchimiques de la confrérie, qui finiront par l'entraîner vers son Grand Oeuvre à lui,
à savoir la création d'une créature vivante à partir de cadavres humains.
Esotérisme et alchimie sont de thèmes qui fonctionnent à merveille dans le cadre de romans mystérieux et initiatiques. Mais à la vision d'un
Theodore Roszak le lecteur plus regardant pourra préférer celle d'un
Umberto Eco (dans on
Pendule de Foucault) plus critique et surtout plus documenté. Mais dans le cadre d'une pure
fiction, la vision sExuée de l'alchimie s'avère divertissante et originale.
Qui dit Frankenstein, fusse Elizabeth, ne peut passer sous silence la créature, rendue célèbre au cinéma par
James Whale et son interprète,
Boris Karloff.
Si d'apparence et de comportement,
Theodore Roszak reprend indéniablement le presonnage du roman, il n'en va pas tout
à fait de même quand à la méthode utilisée pour créer la créature. Car si dans l'imagerie populaire, il est clair et évident que le
Monstre a été amené à la vie par l'éléctricité, jamais dans le roman de
Mary Shelley il n'y est fait allusion. Cette confusion est
due au film
Frankenstein, qui a imposé l'image d'une créature créé par le science moderne.
Cependant, dans le roman
Frankenstein ou le Prométhée moderne Mary Shelley reste très vague quand à la méthode utilisé pour amener
à la vie la Créature. Il est même fait allusion à l'utilisation de magie, même si, bien sur, en tant que médecin, il est évident que la
science moderne joue un rôle primordial dans l'acte de création. Science, magie, et déification (pour la Créature, le docteur Frankenstein est à la fois
le dieu et le père, qu'il lui faudra tuer d'un point de vue psychanalytique, avec en cela des années d'avance sur
Freud ou
Nietzsche) sont donc à
l'origine de la naissance de ce qui reste sans doute le monstre le plus connu du fantastique.
Même si
Theodore Roszak ne décrit pas véritablement la création de la Créature, il est
évident à la lecture du récit que l'auteur voit la naissance d'Adam (car c'est el nom qu'il se donne) de la même façon que
James Whale.
Ambitieux, le roman de
Theodore Roszak l'est sans aucun doute. Mais l'auteur réussit à tenir en haleine
malgré un fin connue (ou alors grâce justement à une fin connue), livrant une oeuvre très bien ficelée, ne venant qu'à la marge piétiner le
chef d'oeuvre de
Mary Shelley. Alors bien sur, ceux qui n'ont pas lu
Frankenstein ou le Prométhée moderne risquent de passer à côté de
l'histoire. Mais est-il possible de lire un roman tel que
Les Mémoire d'Elizabeth Frankenstein sans avoir lu
Frankenstein ou le Prométhée moderne?
Theodore Roszak est en tout cas un auteur de premier plan, dont les histoires tiennent en haleine et restent ancrées
dans la mémoire pour longtemps.