Greg Keyes conclut (enfin) avec
les ombres de Dieu son cycle de
l'âge de la déraison, commencée en 1998 avec
les démons du Roi-Soleil. Quoique saluée par la critique, cette saga
uchronique cumule les défauts, qui deviennent à la longue fatiguant. Le même problème se pose d'ailleurs pour son autre
cycle,
les royaumes d'épines et d'os (
le roi de bruyère et ses suites),
à savoir des personnages par trop caricaturaux (et qui plus est inexacts dans le cas de la présente saga, une partie des héros
n'étant ni plus ni moins que de réels personnages historiques), et surtout un fil narratif trop prévisible.
Difficile de ne pas deviner (à quelques légers détails près) comment va se terminer cette histoire, qui va mourir, qui va
survivre, etc. La seule 'surprise' de la saga étant la mort de Newton, dans
l'algèbre des anges. Bien peu de choses.
Un autre fait très gênant, et encore plus flagrant dans cet épisode que dans les précédents, est l'anachronisme absolu
des mentalités des protagonistes principaux. Tous sont farouchement contre la royauté (y compris les rois eux-mêmes), et
l'humanité (ou ce qu'il en reste, c'est à dire essentiellement l'Amérique) ne veut qu'une chose: créer une démocratie.
C'est juste oublier la Révolution française, et la guerre en Europe qui en découlera, guerre qui justement montre bien à quel
point l'Europe (il est vrai que le Nouveau Monde est passé plus facilement à la démocratie) était farouchement attachée
à ses monarchies. D'ailleurs, encore au XXIème siècle, certains pays (dont l'Angleterre) sont encore sous régime royaliste, et
portent encore une adoration envers leur roi et reine. En gros,
Greg Keyes, en bon
américain, n'a toujours pas compris que la pensée unique n'existe pas, et même dans un monde de fantasy, un petit peu de
cohérence ne ferait pas de mal.
Par contre, l'auteur, l'air de rien, évite de se fâcher avec la religion, alors que tout son roman tendrait à nous faire croire à
une révélation touchant dieu (ou en tout cas son existence). Là encore, dans un pays comme les Etats-Unis, il est
préférable de ne pas toucher à Dieu. D'ailleurs, dans un tel monde apocalyptique (surtout en ce temps là), il est assez
difficile d'imaginer que la religion ne prendrait pas plus d'ascendant sur la vie de tout un chacun. En quelque sorte, l'auteur passe à
côté de son sujet.
C'est d'autant plus dommage que l'auteur maîtrise toujours autant le rythme narratif, et en particulier les cliffhangers (très nombreux dans
ce dernier opus). Visiblement, le seul but de
Greg Keyes était d'écrire une
histoire d'aventures, donnant le beau rôle aux américains, et aux indiens en particulier (là aussi, seul un américain peut
imaginer une telle histoire).
Jamais totalement désagréable, car facile à lire et somme toute captivante (si l'on ne s'en tient qu'aux aventures des héros),
cette saga restera mineure dans l'histoire du fantastique littéraire. Et ce même dans sons sous-genre, l'uchronie.
Dans un genre proche, il est préférable de lire (ou relire) les deux grandes sagas de
Michael Moorcock,
le cycle d'Elric, ou
la geste d'Hawkmoon, l'un pour sa fin du monde s'approchant de cette décrite dans
l'âge de la déraison, et l'autre pour
son urchronie guerrière (avec cette fois-ci les anglais dans le rôle des méchants).
PS: Le dernier chapitre du roman, s'il peut faire verser une larme à tout américain fier de son histoire, qui, quelque part, commence
réellement à ce moment-là, laissera le reste du monde beaucoup plus froid. Un résumé du cycle, en sorte.