Dan Simmons s'attaque avec
Terreur à un nouveau genre pour lui: le biopic. En relatant
le destin de l'expédition perdue de Franklin, datant de 1845, l'auteur s'écarte légèrement de son univers habituel, à
savoir l'horreur et la science-fiction, pour se tourner vers une histoire réelle, mystérieuse encore aujourd'hui. Mais comme on ne se refait pas,
Dan Simmons ne pourra s'empêcher d'y mêler le fantastique et le surnaturel, au
travers de la créature démoniaque rodant autours des épaves des deux navires britanniques bloqués dans les glaces. Mais ce
monstre n'est rien de plus que la matérialisation d'une Dame Nature hostile à la présence de corps étrangers (les britanniques)
sur sa banquise. Car même les lecteurs n'aimant pas le surnaturel pourront trouver du plaisir et de l'intérêt à la lecture de
ce
Terreur. L'auteur s'est en effet énormément documenté sur cette expédition perdue, et s'efforce tout au long de ce
roman fleuve (ou plutôt roman glacier) de retranscrire le destin probable de ces hommes partis trouver pour la Couronne Britannique un passage entre
la Groenland et le Canada. Passage qu'ils ne trouveront pas. Mis à part quelques nécessaires libertés littéraires, l'auteur se
base sur des faits connus de tous, comme les conserves défectueuses, l'épidémie de scorbut, et même le cannibalisme (les restes des
marins découverts lors de l'expédition de 1981 prouvent que les survivants ont eus recours au cannibalisme).
Mais la grande force de
Dan Simmons est de donner une voix à tous ces infortunés
marins, l'auteur changeant régulièrement de personnage de point de vue, faisant même douter le lecteur quand à l'issue (pourtant
tristement connue) de cette aventure. L'auteur utilise toute l'étendue de son talent (et il est considérable) pour créer une ambiance
de fin du monde, de terreur (le roman porte bien son nom, même s'il fait référence au navire du capitaine Crozier, le H.M.S Terror),
de paranoïa, et bien sur de mystère. Les personnages sont bien brossés (tout au plus peut-on trouver le personnage de Cornélius Hickey
un petit peu trop caricatural -sodomite, meurtrier, et cannibale, cela fait beaucoup pour un seul homme-, en particulier sur la fin, lorsque la folie a
totalement dévoré le personnage, mais après tout n'est-ce pas tout
Dan Simmons ne fait que se plonger et nous décrire les derniers instants d'un homme devenu
totalement fou). Force est de constater que l'auteur a cherché à redonner sa place à chaque homme dans cette expédition, et
pas seulement à leur chef, John Franklin (dont la mort arrive relativement tôt dans l'histoire).
Les explorateurs se retrouvent à faire face à une nature hostile, pris dans les glaces au milieu d'un hiver sans fin (et qui durera en fait
presque deux ans), sans source de nourriture autre que leurs vivres empoisonnées (mal conservées, les soudures étant
défectueuses, l'intoxication au plomb et la folie qui en découle -le saturnisme-, ainsi que le botulisme, ont été prouvés comme étant
l'une des raisons de l'échec de l'expédition). Coincés dans deux navires bloqués en plein glacier, risquant de se briser
à tout moment (et ce même si les deux navires sont les plus résistants de la flotte britannique), les hommes d'équipage n'ont
pratiquement aucun moyen de chauffage, vivent dans une surface minuscule, et ne voient jamais le jour (l'hiver arctique est pratiquement dénué
de soleil), et lorsque celui-ci apparaît, il faut chausser des lunettes fort peu commodes pour se protéger de la cécité des
glaces). Dans de telles conditions, il est évident que le moral des troupes se retrouve vite au plus bas, surtout lorsque les premiers
décès se produisent (pneumonie, tuberculose,...). Le risque dès lors ne vient plus de l'extérieur, mais bien de
l'intérieur: la mutinerie.
Avec un sujet d'une telle force dramatique, pourquoi venir ajouter une pointe de fantastique? Le risque est fort de trahir le mémoire de ces hommes,
en en faisant une simple histoire de monstre. Mais
Dan Simmons est bien trop malin pour ne pas
l'avoir compris, et la créature apparaît clairement comme la double extension et de la Nature et de la Civilisation Inuit. Combattre l'une,
c'est quelque part combattre l'autre, et ne pas respecter l'une c'est ne pas respecter l'autre. Le fait que la première apparition de Lady Silence
coïncide avec l'arrivée du monstre est bien entendu très symbolique (et ce même si l'explication est beaucoup plus pragmatique):
l'un ne peut aller sans l'autre, et seuls ceux qui l'auront compris pourront survivre. Mais y aura-t-il seulement quelqu'un pour le comprendre? Le jeune
lieutenant Irving, par exemple?
Le Monstre est donc un pur symbole, presque un passage initiatique (que la fin viendra d'ailleurs confirmer). Le fait que la créature ne soit jamais
réellement décrite (elle ressemble à un ours polaire mais n'en est pas un, elle à un cou de serpent mais là encore en
diffère beaucoup, etc ...) prouve bien que l'auteur ne compte pas trop sur elle pour provoquer l'horreur (là où un auteur moins
talentueux l'aurait décrite en long, en large et en travers pour terrifier le lecteur), même s'il sait faire d'elle un usage de premier choix
(elle aide à susciter la paranoïa et la peur de l'extérieur). Le roman aurait très bien pu se passer d'elle, si ce n'est pour la fin,
à savoir l'harmonisation entre l'Homme (blanc) et la Nature.
L'homme apparait donc comme son propre pire ennemi (la paranoïa, la duplicité de la société fournissant les conserves, la mutinerie,
la folie,...), la nature quand à elle n'attendant qu'une chose, c'est d'être apprivoisée, à tout le moins comprise. La preuve
en est donnée avec la Créature, lors d'un final émouvant.
Bien évidemment,
Dan Simmons ne cesse de citer la vraie expédition Franklin,
prouvant à chaque page qu'il s'aventure en terrain connu. Mais l'expédition (et tous les écrits la concernant) ne sont pas les seules
références du roman. A l'instar d'un
Stephen King (auquel
Dan Simmons est
systématiquement comparé, alors que le talent de l'auteur de
l'échiquier du mal
est cent fois plus éclectique et talentueux que celui qui est considéré comme le Maître de l'Horreur),
Dan Simmons ne manque pas de semer là et là quelques références
à la culture populaire. Difficile lorsque l'on fait un roman se déroulant au XIXème siècle? Certes, mais lorsque l'on a le talent
de
Dan Simmons, cela est possible. Toujours très discrètes, ces rattachements
culturels à notre civilisation se montrent de diverses façons. Citons par exemple la guerre existant aux Etats-Unis entre évolutionnistes
et créationnistes.
Dan Simmons, en expliquant la théorie Darwinienne, montre bien
l'absurdité de la théorie créationniste, très en vogue aux Etats-Unis.
En dehors de ce sujet brûlant, l'auteur aborde aussi la culture populaire en citant
la chose d'un autre monde (film de
Christian Nyby
datant de 1951), et son remake
The Thing (de
John Carpenter, sorti en 1982). si l'ombre du film de
John Carpenter plane sur tout le roman (
The Thing
a redéfini de façon indélébile la notion d'enfer blanc), un passage en particulier cite les deux classiques du cinéma
fantastique, lorsque les survivants font face au cercle laissé dans la glace par la Créature, rappelant les scientifiques faisant le tour
du cercle laissé par le vaisseau spatial de la Chose (aucune allusion ne laisse supposer que le Monstre de
Terreur soit d'origine
extra-terrestre quand à lui).
Fin littéraire,
Dan Simmons laisse pour une fois ses citations
shakespearienne (il
les laisse plutôt pour ses récits de science-fiction). Dans
Terreur, c'est vers
Edgar Allan Poe, contemporain de l'aventure
de l'Erebus et du Terror, que se portent les attentions de l'auteur. L'un des passages les plus marquants du roman, le Second Festival de Venise, est
directement inspiré (et affirmé) du
masque de la mort rouge du romancier.
Dan Simmons met donc ton son talent au service de ses hommes, morts dans d'étranges
circonstances (ou en tout cas inexpliquées). Le roman n'est qu'un long et captivant chant du cygne pour le capitaine John Franklin, le capitaine
Francis Crozier, le second James Fitzjames, et tous les autres membres de l'équipage des navires Erebus et Terror. Cette expédition,
très connue dans el monde anglo-saxon (et beaucoup moins en France), touche par ce qui nous semble aujourd'hui un effort surhumain pour une
tâche si infime, et en même temps si importante pour l'humanité.
Dan Simmons use de toutes les ficelles d'un métier qu'il connait sur le bout des doigts,
que ce soit une narration non chronologique (qui créé paradoxalement un suspens permanant); un sens du cliffhanger ou de l'annonce choc (un
nombre considérable de chapitre commence par l'annonce de la mort d'un personnage que l'on pensait soit en bonne santé soit indispensable
au déroulement de l'histoire); un rythme maitrisé à la perfection; ainsi qu'un mélange très subtil entre
réalité et fantastique pur et simple, traité avec la même rigueur.
Enfin notons que
Dan Simmons n'est jamais aussi bon que lorsqu'il nous livre des romans
fleuves (
Hypérion,
Ilium),
et paradoxalement, ce sont ceux là sui semblent le plus courts au lecteur. Preuve qu'ils sont hautement passionnants.
Encore un chef d'oeuvre pour un auteur d'exception. A lire absolument!