Et au milieu coule une rivière
Bong Joon-ho, comme de nombreux artistes de sa génération (l'homme est né à la fin des années 60), a
été très influencé par les grands noms du cinéma populaire made in Hollywood,
Ridley Scott en tête. Lorsque le jeune homme découvre Alien,
cela le marque profondément. Des années plus tard, devenu réalisateur, Bong Joon-ho saura en tirer des leçons de mise
en scène.
Bien sur, de part sa nationalité coréenne, le cinéaste a aussi profondément été marqué par le
cinéma nippon (et ce même si les coréens n'aiment pas se l'avouer), et en particulier par les films de monstres géants de
la Toho Company, dont le chef de file est bien entendu Godzilla.
Mais le film puise aussi son inspiration dans une triste histoire véridique. En 2000, un scandale éclate au pays du Matin Calme: une somme
considérable de formaldéhyde (un produit hautement toxique) a été déversée dans le fleuve Han (qui traverse
la capitale de la Corée du sud). Il s'avère que cette pollution a pour origine l'armée américaine. Ce scandale sera connu
sous le nom d'affaire McFarland, du nom du scientifique tenu pour responsable de cette histoire. Il s'agira de l'inspiration principale pour le film de
monstre de Bong Joon-ho
Conscient du nombre considérable de films de monstres existant, aussi bien en Asie qu'en Amérique, le cinéaste sait qu'il devra
se démarquer de ses "concurrents" s'il veut réussir son pari. Le film de monstre géant est avant tout une histoire japonaise, puisque
le plus connu de tous est bien entendu Godzilla, qui, depuis 1954, détruit Tokyo et ses environs. Il a sévit dans une trentaine de
films (le dernier datant de 2004), et est resté très populaire dans l'esprit des japonais et d'une grande partie des asiatiques en
général. Le personnage, symbole du traumatisme post-Hiroshima des japonais, est devenu le porte-parole en quelque sorte d'un Japon tout
d'abord en colère contre cet acte que l'on ne peut traiter que de monstrueux (pour rappel, on estime à environ 200 000 le nombre de
morts -uniquement des civils- du directement au largage des deux bombes 1 sur les villes d'Hiroshima et Nagasaki), puis d'acceptation, avant de devenir
une partie intégrante de leur culture, voir une force (dans la franchise, cela se transpose par le passage de Godzilla d'attaquant à
défenseur du Japon).
De l'autre côté du Pacifique, on retrouve les autres grands faiseurs de monstres géants: les américains. Leur façon
d'envisager les monstres est pourrait-on dire radicalement opposée à celle des japonais. En effet, pour Hollywood, un monstre, surtout
s'il est géant, se doit de promulguer la grandeur du pays de l'Oncle Sam, non seulement au travers de ses personnages, tous plus
héroïques les uns que les autres, mais aussi au travers de leur supériorité en tant que faiseurs de films. Les deux exemples les
plus emblématiques du genre sont le Godzilla de
Roland Emmerich, et le
Cloverfield de Matt Reeves (que les deux
se déroulent à New-York et que l'un soit justement un remake montre en soit la limite du cinéma américain sur le genre).
Dans le cas des japonais, les effets spéciaux peuvent être considérés comme naïfs (pour ne pas dire mauvais), tandis que
dans le cas d'Hollywood, la surenchère d'effets spéciaux, de préférence numérique, prône.
Bong Joon-ho doit donc venir faire sa place entre les deux gros rouleaux compresseurs du genre.
Le réalisateur fera alors un choix qui le verra se démarquer de la concurence: le réalisme. A l'instar d'un
Steven Spielberg pour son remake de
guerre des mondes, Bong Joon-ho veut que son film fasse crédible. Pour cela
il décide que son monstre ne sera pas gigantesque, il sera juste gros. Pour cela, il garde en mémoire l'Alien du film de
Ridley Scott qui doit son succès en partie à sa taille "humaine".
Le cinéaste coréen site aussi comme source d'inspiration le Signes de M. Night Shyamalan, film qui lui aussi se base sur une
forte dose de réalisme pour plus d'efficacité.
Ensuite, il fait le choix de prendre comme héros une famille modeste, banale, loin des last action heros dont le cinéma U.S. s'est fait une
spécialité. Bong Joon-ho estime, à raison, qu'il est plus facile de s'identifier à des gens simples et modestes
qu'à des supers vigilantes à la John McClane. De ce point de vue là, ses héros sont gratinés. Entre un chômeur (gros
problème en Corée), un simplet (un tabou dans nombre de civilisations, pas seulement occidentale), et une petite dernière
réservée (même le fait qu'elle soit médaillée olympique ne fait pas d'elle une héroïne, loin de là, le film
faisant plutôt ressortir ses défauts que ses qualités), et enfin un père aux revenus modestes qui a se donne du mal pour que
ses enfants ne soient pas malheureux, on voit que le réalisateur a tenu à nous présenter des gens vraiment normaux.
Pour incarner cette petite famille, délaissée par un gouvernement coréen encore une fois dépassé par les
événements (comme dans son premier long métrage, Memories of murder), Bong Joon-ho va faire appel à ce qu'il
considère comme des valeurs sures. Song Kang-Ho et Park Hae-il, tout d'abord, qu'il avait déjà dirigé dans
son memories of murder. Ensuite, Byeon Hee-bong et Bae Du-na, qui eux avaient participé à son second film,
Barking dogs never bite. Bref, que des personnes avec qui il a déjà travaillé, en qui il a confiance, et dont il connait le
talent.
Seule nouvelle dans l'univers cinématographique de Bong Joon-ho, la jeune Ko Ah-seong (qui joue la jeune fille que désire
sauver les Park). Elle sera d'ailleurs la révélation de ce film, son interprétation montrant déjà une maturité
et un talent rare.
Une distribution de qualité devant la caméra, que le cinéaste associe à de talentueux faiseurs derrière la
caméra. Kim Hyung-ku à la photographie (splendide, tout comme sur Memories of murder, Bong Joon-ho sachant tirer le
meilleur parti de la pluie et de l'obscurité), fait là un travail exceptionnel. Il prouve (à qui en doute) que les coréens
n'ont rien à envier en ce qui concerne le talent aux américains et autres gros producteurs de films mondiaux. Par contre, pour les SFX,
les anglo-saxons s'avèrent toujours les meilleurs. Entre Weta Workshop (la trilogie du
Seigneur des anneaux) et The Orphanage
(Pirates des caraïbes 3: jusqu'au bout du monde), force est de constater que
l'Asie (et en particulier la Corée) ne fait pas le poids sur ce genre de productions.
Afin d'appuyer le côté réaliste de son film, Bong Joon-ho décide de tourner la maximum de scènes en
décors naturels. Pour cela, il fait le tour de Séoul, et visite les lieux potentiels où pourraient se découler les
différentes scènes du film. Les berges du fleuve Han, tout d'abord. Il s'agit de trouver un endroit où les gens se sentent en
sécurité avant de le faire se transformer en enfer. L'emplacement idéal est vite trouvé, un lieu où les habitants de
cette capitale de 10 millions d'habitants viennent se délasser le week-end. Ce sera aussi là où la famille Park tiendra sa petite
boutique.
La créature se déplaçant aussi beaucoup autours des ponts (un endroit idéal pour elle pour, puisqu'en plus d'être le lieu
où elle goutera pour la première fois de la chair humaine, cela lui permet de se mettre une fois de temps en temps au sec, ainsi que de
passer d'une berge à l'autre rapidement, sans passer par le fleuve). Séoul en possède de nombreux, et les plus photogéniques
sont choisis pour le film.
Enfin, et c'est sans doute les lieus les plus importants: les égouts. C'est en effet dans les gigantesques réseaux d'égouts de la
ville où la créature vit. Et les égouts de la ville sont vite apparus au cinéaste comme parfaits pour le tournage (le
résultat final le prouve d'ailleurs). Mais cela a posé quelques problèmes d'ordre technique. Tout d'abord, la maladie, les
égouts étant pas définition une zone vectrice de maladies. Tous les techniciens et tous les acteurs devront subir une série
de vaccinations afin de se garantir de tout incident. Le second problème est lié à l'humidité des lieus, difficilement
compatible avec la mise en place de tout le matériel électrique nécessaire à un tournage. Là où un film
américain aurait fait appel à une reconstitution en studios, les coréens ont pris des risques. Risques qui se sont
avérés payants.
Même lorsqu'il ne cherche pas à faire des films polémiques, Bong Joon-ho ne peut s'empêcher d'aborder la politique dans
ses films. Dans Memories of murder le réalisateur abordait les années noires de la Corée, ainsi que l'incapacité de
la police à protéger la population. Dans the Host, de nouveau, on retrouve un état incapable d'aider une famille dans le
besoin. Le dédain avec lequel l'état traite les Park est un soufflet contre le gouvernement d'une nation qui cherche à redorer son
blason au niveau international. Ajoutons à cela les sans abris, le chômage, des coréens prêts à vendre leurs amis pour de
l'argent, les émeutes, et l'on se rend compte que le cinéaste voit son pays d'un drôle d'oeil.
Mais le cinéaste ne s'en prend pas qu'à son pays, puisque les Etats-Unis en prennent aussi pour leur grade. Entre le déversement de produits
toxiques dans le fleuve, puis la vaporisation de l'agent jaune, presque aussi dangereux que le mal qu'il est censé soigné, on voit que
Bong Joon-ho frappe fort. Et pourtant, ce n'était pas à l'origine volontaire de sa part, son désir premier étant de
faire un film de monstre.
Mais The Host est-il vraiment un film de monstre? Même Bong Joon-ho se pose la question. En effet, il dit qu'il suffit de remplacer
la créature par un "simple" kidnappeur, et l'histoire de la famille Park en resterait pratiquement inchangée.
Les coréens se sont rués sur The Host lors de sa sortie en salle. Résultat, The Host est à ce jour le plus
gros succès en salle en Corée, avec 13 millions de spectateurs. Le monstre (traduction du titre coréen Goemul) que personne
n'attendait a frappé, et très fort.
A l'international, le film a connu un certains succès, générant un revenu de 87 millions de $, pour un budget d'environ 11
millions de $.
Pas mal pour un petit film de monstre d'un petit pays cinématographiquement parlant. Après Old Boy, le Pays du Matin Calme prouve
qu'il est capable de s'énerver.