![]() |
Retour à la section dédiée au cinéma. |
|
![]() Nosferatu le vampire, film muet de 1922, réalisé par la génial Friedrich W. Murnau, est la première adaptation, quoique non officielle (d'où les changements de noms de tous les principaux personnages de l'histoire), du roman Dracula de Bram Stoker, et est sans doute l'un des tous premiers films de l'histoire du cinéma à mettre en scène la créature morte-vivante. Le film fut produit par Prana Film, dont ce fut la première et dernière production, et ce à cause de Nosferatu le vampire. En effet, le film ayant été fait sans l'accord des ayants droits de Bram Stoker, pour des questions de budget, ceux-ci, en particulier la veuve de l'écrivain, Florence Stoker, intentèrent un procès au studio, procès qui entraina la faillite de la société. Ce procès eut pour conséquence une mise en demeure de détruire tous les négatifs de l'oeuvre (ce qui, bien heureusement pour le Septième Art, ne sera pas suivi à la lettre). Seuls quelques exemplaires du film furent sauvés, mais le film resta très longtemps très difficile à voir, pour ne pas dire impossible. Ainsi, par exemple, en Suède, le film fut tout simplement interdit jusqu'en 1972. A noter que suite au procès, le film, censé ne plus exister, tomba dans le domaine public (à l'instar de la Nuit des morts-vivants de George Romero, mais dans le cas de ce dernier pour des raisons totalement différentes). Il est donc possible aujourd'hui de se le procurer sans avoir à payer quoi que ce soit à quiconque. Un cas suffisamment rare pour le signaler, surtout que le film est unanimement considéré par les cinéphiles comme un chef d'oeuvre du Septième Art. ![]() Mais en quoi ce film, bientôt un siècle après avoir été tourné (en juillet 1921 pour être exact), a-t-il gardé son aura de chef d'oeuvre? Et bien tout d'abord parce qu'il est le film qui apposé toutes les bases du film de vampire actuel (du Cauchemar de Dracula en passant par Twilight et autres entretien avec un vampire). Ensuite, parce qu'il n'a pas perdu une once de son efficacité, se montrant bien plus effrayant que nombre de films beaucoup plus récents. Et enfin, parce qu'il se trouve être une des oeuvres maîtresses du cinéma expressionniste. Ce mouvement artistique a touché tous les arts, avec en particulier Van Gogh pour la peinture, et est apparu fin des années 10, début des années 20, au cinéma, en Allemagne en particulier, avec des réalisateurs comme Robert Wiene et son Cabinet du Docteur Caligari (1919), Fritz Lang, avec Metropolis, et bien entendu Murnau. Il se distingue par une déformation de la réalité dans le but de susciter une émotion. Bien souvent ce mouvement est associé à l'angoisse, le pessimisme et une certaine forme de violence. En cela se fait indéniablement sentir l'effet de la Première guerre mondiale. Mais en quoi Nosferatu le vampire montre-t-il son appartenance à ce mouvement artistique? Violence, angoisse, morbidité, et profond pessimisme. Les thèmes majeurs de l'expressionnisme sont indéniablement là. Déformation de la réalité afin de susciter une réaction émotionnelle forte: Absolument. C'est d'autant plus fort de la part de Murnau qui a en grande majorité tourné son film en décors naturels, là où ses confrères faisaient appel au studio pour créer leurs effets. Murnau quand à lui se concentre sur la technique cinématographique, une technique qu'il maitrise à la perfection. Parmi les techniques employées par le cinéaste, citons: ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Aucun doute, Murnau joue avec le média cinéma pour susciter malaise et peur chez le spectateur, comme rarement réalisateur réussira à le faire par la suite. ![]() Murnau emprunte énormément aux autres arts pour son film. Le plus évident étant bien entendu la peinture. Etrangement, c'est plutôt vers le romantisme que Murnau va chercher son inspiration visuelle. Le film ose même un affrontement entre cinéma et peinture, symbolisé d'un côté par les vivants, qui se déplacent et montrent des émotions (film muet oblige, les acteurs sont ultra-expressifs), et de l'autre un vampire figé, mort, mais néanmoins fascinant. A tel point qu'à la sortie du film, on a l'impression d'avoir vu le comte dans pratiquement toutes les scènes, alors qu'il ne compte quà peine dix minutes de présence à l'écran. L'un des forces de ce film est sans doute d'avoir su mélanger le meilleur du romantisme, tout en s'inscrivant pleinement dans l'expressionnisme. En plus des techniques déjà citées (utilisation de filtres de couleurs, jeu ultra expressif des acteurs), Nosferatu le vampire se distingue par les particularité cinématographiques suivantes: ![]() ![]() ![]() ![]() Quoique muet, le Nosferatu de Murnau est inextricablement liée à l'art musical, et ce jusque dans son titre original, qui se traduit par une symphonie de l'horreur. La composition même du film fait directement référence à la rythmique musicale propre en particulier aux symphonies ou à l'opéra, c'est à dire constituée en plusieurs mouvements (habituellement quatre ou cinq dans le cas des symphonies: ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Si la construction est calquée sur un squelette musical, Nosferatu le vampire s'offre aussi le paradoxe d'être un film muet extrêmement bavard. Mais bavard comme seul peut l'être un film muet, c'est à dire avec force intertitres: Dialogues entre les différents personnages, bien sur; textes lus par ces mêmes personnages, textes expliquant bien souvent les enjeux du film; et enfin les intertitres propres aux changements d'actes. Tout cela donne l'impression au spectateur de ne pas tout à fait regarder un film muet. ![]() Si le vampirisme a bien toujours été sujet à interprétation, c'est bien à propos du sexe. Et le film de Murnau de ne pas si différencier de ses futurs confrères (bien au contraire, il va peut-être même initier le genre). Des années avant le SIDA et autres maladies sexuellement transmissives, le vampire va véhiculer d'autres messages. Dans le cas de Nosferatu il s'agit d'homosexualité, une homosexualité alors tabou, Murnau profitant de ce film pour faire en quelque sorte son coming-out... D'ailleurs, la naissance de l'horreur au cinéma sera très directement influencée par l'homosexualité de ses créateurs, Murnau et James Whale (Frankenstein, L'Homme invisible) en tête. Dans Nosferatu ce thème est analysable comme suit: ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() ![]() Le couple Hutter/ Orlok, tout comme le docteur Jeckyll & M. Hyde, représente les deux faces d'un même homme face au refoulement sexuel et à l'attrait du mal. D'un point de vue psychanalytique, le château du comte Orlok représente le moi intérieur d'Hutter, qui, face à la tentation, ira puiser au plus profond de lui-même (la crypte) les racines d'un mal qui le ronge et auquel il succombera finalement (et d'ailleurs sans trop de lutte). D'ailleurs, la descente dans la crypte marque symboliquement le passage à l'impuissance du personnage: impuissance fac au mal qui l'a vaincu, impuissance face au sexe (il n'aura plus du tout le même rapport avec sa femme après cette scène qu'avant), et d'une façon générale impuissance face aux événements, puisqu'à partir de là Hutter devient pour ainsi dire une loque, sa femme prenant le relai en tout. Lorsque finalement le mal sera vaincu, la tour du comte s'effondrera. Le spectateur peut y voir soit, s'il est optimiste, un retour à la normale pour Hutter, soit, s'il est pessimiste, le démantèlement définitif de la psyché du personnage. ![]() Si le film fonctionne aussi bien, et d'un point de vue horrifique, et d'un point de vue symbolique, c'est tout d'abord lié bien entendu au talent de Friedrich Wilhelm Murnau. Mais cela tient aussi énormément à la performance de Max Schreck, l'homme qui joue Nosferatu. L'acteur est tellement habité par son personnage que certains ont voulu voir en lui un véritable suceur de sang (théorie d'ailleurs reprise dans l'Ombre du vampire, d'E. Elias Merhige, avec Willem Dafoe dans le rôle de l'acteur). Et Murnau de décider, en voyant son acteur, de ne lui faire qu'un minimum de maquillage, le réalisateur le trouvant, littéralement, laid à faire peur. Avec le Frankenstein campé en 1931 par Boris Karloff dans le film éponyme de James Whale, Nosferatu est sans doute le monstre le plus connu du Septième Art. Et oh combien il a raison. Le Nosferatu campé par Max Schreck est, de loin,le vampire le plus terrifiant jamais vu à l'écran, dépassant de loin les autres incarnations de suceurs de sang cinématographiques (n'en déplaise au pourtant géniaux Christopher Lee et autres Bela Lugosi). L'acteur crève littéralement l'écran, faisant ombrage à tous les autres acteurs du film, tout comme son personnage étend son ombre sur ses victimes. A tel point que tout le monde ne se souvient que de lui dans le film, alors qu'il n'est présent que neuf petites minutes à l'écran! Physique incroyable, gestuelle réduite au strict minimum, regard hypnotisant (l'acteur ne cligne qu'une seule fois des yeux de tout le film!), Max Schreck livre tout bonnement l'une des prestations les plus habitées de l'histoire du Septième Art. ![]() Si tous ceux qui ont lu le Dracula de Bram Stoker reconnaîtront l'histoire, nombreux sont pourtant les changements opérés entre le livre et son adaptation non officielle. Bien plus que de simples changements de noms de personnages et de lieus. Le principal changement concerne bien entendu le personnage central du film, le vampire. si dans le roman de Bram Stoker Dracula est un être cultivé, raffiné, et surtout séduisant, il n'en est strictement rien du Nosferatu de Murnau. Ce dernier est en fait pratiquement l'exact opposé du comte Dracula: hideux, le comte Orlok ressemble véritablement à un cadavre (et dépassant de loin le simple teint blafard qui deviendra l'apparence du vampire au cinéma dans les années qui suivront). Sa personnalité est en accord parfait avec son physique, puisqu'il est inexpressif aussi bien physiquement qu'émotionnellement. Il est véritablement l'image que l'on peut se faire d'un mort qui marche (on retrouvera cette froideur du cadavre uniquement chez les morts-vivants de George R. Romero, et ce bien des années plus tard). Si Dracula est hypnotisant, quoique terrifiant, le comte Orlok est quand à lui répugnant. Au contraire de l'image tentatrice du vampirisme qui deviendra la marque de fabrique du genre, ici nul ne peut se sentir attiré (en dehors de Hutter, mais ce uniquement sur le plan psychanalytique) par l'immortalité proposée par Orlok. D'ailleurs, et là aussi contrairement à ce qui deviendra un incontournable du genre, il n'est jamais fait mention d'une possible propagation du vampirisme dans le film de Murnau. Les seules choses que propage Orlok, ce sont la mort et la terreur. Mais bien sur ces modifications n'ont en rien empêché Nosferatu le vampire d'être une adaptation hors-la-loi du roman de Bram Stoker, et ce en raison de l'étroitesse du budget qui ne permettait pas des payer les ayants droits. Et naturellement, ces derniers, en la personnage de Florence Stoker, veuve de l'écrivain, d'intenter un procès à la société de production Prana Films. Le procès durera de 1922 à 1925 et aboutira en juillet 1925 à la mise en demeure de détruire toutes les épreuves du film, négatifs y compris. En octobre 1925, soit quelques mois après sa victoire judiciaire, elle parraine un festival de cinéma à Londres, où il s'avère que Nosferatu y est programmé. Elle attente alors un nouveau procès, qui aboutit en 1929 à la destruction de ladite copie. Entre temps, en 1928, Universal achète auprès de Florence Stoker les droits d'adaptation du roman de feu son mari, cet achat aboutissant en 1931 au Dracula de Tod Browning, avec Bela Lugosi dans le rôle du compte vampire. Mais l'aventure du Nosferatu de Murnau ne s'arrête heureusement pas là, car, dè 1937, à la mort de Florence Stoker, des copies cachées du film commencent à réapparaître, l'une des plus connues étant celle détenue par Jens Geutebrück. L'oeuvre est de nouveau diffusée en salle en 1960, puis en 1972. Enfin, en 1984, l'oeuvre est restaurée. Totalement libre de droits, tout le monde peut maintenant redécouvrir l'un des films majeurs du cinéma muet, voir du cinéma tout court. Si vous avez aimé Nosferatu le vampire, vous aimerez aussi:
|
Nosferatu le vampire est la référence absolue en termes de films de vampire. Tout ce qui fera du genre sa réussite est déjà là, du château
mystérieux au symbolisme sexuel en passant par la mort aux premiers rayons du soleil. D'ailleurs, sur ce dernier point, c'est bel et bien ce film qui imposera cet incontournable du
film de vampire, puisque rappelons que dans l'oeuvre de Stoker le vampire ne craint pas la lumière du soleil.
Nosferatu reste la première adaptation de l'oeuvre de l'écrivain sur grand écran, même si aucun des noms du roman n'ont été utilisés, pour les raisons de droits qui ont fait que ce film fut libre de droit (puisque censé ne plus exister) très tôt. ce film a marqué le Septième art, et connaîtra essentiellement deux hommages: le premier, le remake de Werner Herzog, Nosferatu, fantôme de la nuit, datant de 1979, avec Klaus Kinski dans le rôle du vampire, et le film hommage au tournage du chef d'oeuvre de Murnau, L'Ombre du vampire, réalisé en 2000 par E. Elias Merhige, avec Willem Dafoe dans le rôle de Max Schreck, ici décrit comme un véritable vampire. Passer à côté de ce film, en particulier pour tout amateur de vampirisme, est tout bonnement un manquement inacceptable! |