
Avec
Charlie,
Stephen King, le maître de l'horreur, propose à ses lecteurs à la fois un roman au suspense
très efficace, et une réflexion sur l'eugénisme et les horreurs commises au nom de la sécurité nationale.
Le roman peut tout à fait se lire au premier degré, comme d'ailleurs tous les romans du
King, ce qui explique en grande partie
son immense succès commercial; en effet,
Charlie est, d'un point de vue structurel, très bien écrit, se découpant en trois parties de taille comparable:

Première partie: La fuite. Conçu comme un véritable Ride au travers des Etats-Unis, le premier chapitre du roman est sans doute
la partie la plus efficace du roman, car sans pause, au rythme totalement maîtrisé, et à la dramatique inéluctabilité qui créé un suspense haletant (car
comme le disait si justement
Alfred Hitchcock, le suspense c'est lorsque l'on sait ce qui va se passer).
Stephen King, dans cette partie, nous présente à la fois les personnages, les enjeux, tout en imposant un rythme à son
lecteur inhabituel chez l'auteur, lui qui a plutôt tendance à laisser les choses s'installer afin d'ancrer le plus possible le surnaturel dans le quotidien le plus banal (comme par exemple
dans
Simetierre).

Seconde partie: l'enfermement. Cette partie est sans doute la plus faible du roman, car on y retrouve tous les défauts de l'auteur, à
commencer par un croquemitaine pratiquement omniscient (Rainbird), un archétype que l'on retrouve dans pratiquement tous les romans de
King (que ce soit le monstre de
Ça, Ed Deepneau dans
Insomnie, Annie Wilkes dans
Misery, ...). Cet archétype est pratiquement toujours utilisé de la même
manière par l'auteur, à savoir une entité (qu'elle soit réelle ou fantasmée) qui emprisonne le héros dans ses peurs et qui catalyse toutes les angoisses de
celui-ci (la peur de la page blanche pour Paul Sheldon dans
Misery, les psychoses de chacun des personnages principaux de
Ça, la peur du monde extérieur, et plus encore
du passage à l'âge adulte, ou l'adolescence, dans
Charlie). Bien entendu, dans tous ces romans, le but de cet grand méchant loup symbolique n'est autre que de transcender le
ou les héros, qui retrouveront confiance en eux, bien souvent au prix d'un gros sacrifice (ici le père), et remodèleront leur monde, leur psyché, et plus important encore,
leur avenir, par le truchement de ce monstre.

Dernière partie: la liberté. Elle même divisé en deux sous parties (le déferlement de fureur pyrotechnique et la
mise à l'abri), cette conclusion de l'histoire, même si elle est hautement prévisible, n'en reste pas moins attendue et désirée par le lecteur,
Stephen King sachant très bien sur quel corde jouer pour faire vibrer son lecteur. Alors bien sur, cette fin est sans surprise (mais
en même temps c'est le cas de pratiquement tout le roman), mais elle conclue idéalement une histoire d'une noirceur pratiquement totale.
Les pouvoirs mentaux des sujets du Lot Six ne sont pas sans rappeler les futurs vampires psychiques de
l'Echiquier du mal de
Dan Simmons, dans les deux romans l'auteur s'attaquant aux pouvoirs manipulant les masses (ici, les services secrets, chez
Dan Simmons les médias, les religieux, les militaires, les industriels, et bien entendu les forces de l'ordre). Chez
Stephen King pourtant, les pouvoirs psychiques ne sont pas du côté des manipulateurs, mais des opprimés. Une façon
de dire à la fois que la force de changer les choses est en chacun de nous, mais surtout que l'armée, les services secrets, et de façon générale les institutions,
agissent comme un buldozer destructeur, broyant les gens et en faisant de véritables moutons. En cela,
Charlie s'éloigne des romans de
Stephen King, défendant habituellement l'American Way of Life et le bonheur américain.
Charlie peut être considéré comme faisant partie des meilleurs romans de son auteur, de par sa construction (qui ne s'étale pas plus que de raison, comme d'autres
romans de l'écrivain), carrée et diablement efficace, mais aussi et surtout car il propose un sujet plutôt rare chez
Stephen King, à savoir la remise en question de certains fonctionnements cachés des services secrets américains.