Tous les lecteurs de
Stephen King le savent pertinemment: l'auteur aborde constamment les mêmes thématiques (les peurs venant
de l'enfance, la paralysie de l'écrivain face à la page blanche, le mur qui sépare les générations -en particulier entre enfants et adultes-, les violences
conjugales, le sexe, ...).
Insomnie, en ce sens, est un roman typique de
King. Mis à par la phénomène de la page
blanche, absent du roman, tous les autres thèmes sont présents ici. Les violences conjugales, tout d'abord, au centre même du roman (mais malheureusement décrite de
façon tellement caricaturales que cela en devient gênant), un thème que l'on retrouve dans des romans comme
Ça,
Cujo,
Shining l'enfant lumière,
ou bien encore
Rose Madder. Le fossé entre les générations ensuite (lui aussi présent dans
Ça, un roman bien plus proche d'
Insomnie qu'il y
parait de premier abord), mais pour une fois inversé, puisque ce ne sont plus des enfants face à leurs parents, mais bien le contraire, les parents ayant maintenant atteint l'âge de
la retraire. Cependant, à bien y regarder,
Stephen King les traite relativement de la même façon, à savoir des
personnages qui n'ont pas (plus) leur place dans la société, et qui ne sont pas (ou plus) autonome et ont donc besoin des vrais adultes (ceux qui ne sont ni des enfants ni des membres du
troisième âge). C'est en tout cas l'idée qu'en ont les "adultes". Qu'ils soient des enfants ou des personnes âgées, les héros de
King voient des choses qu'ils sont seuls à voir (en particulier dans
Ça), et ils font face à des problèmes
mortels qu'ils sont seul à pouvoir résoudre. Le sexe, lui aussi, est bel et bien présent dans ce roman, mais sans les descriptions détaillées (mais finalement bien
sages) auxquelles nous a habitués l'auteur. Car si
Stephen King nous dit que le troisième âge a lui aussi le droit aux
plaisirs du sexe, il n'ira pas jusqu'à détailler l'acte (car, à bien y regarder,
Stephen King est d'un politiquement
correct dans sa vision du sexe qui en dit long sur lui, et plus important encore, sur sa façon d'écrire et son côté purement mercantile). Enfin, le thème des peurs
enfantines, ici clairement associé à la peur de la mort, est le cœur de la partie fantastique du roman.
Le roman stigmatise de façon à la limite du grotesque les hommes violents envers leur femme ou enfant (un sujet tel que celui-ci méritant bien mieux que celui d'
Insomnie), en
faisant des hommes violents des terroristes en puissance, ni plus ni moins, capable de tout ou presque (y compris d'envoyer des malades mentaux tuer des vieillards!), diaboliques au dernier point, le
Diable incarné. A trop pousser le trait,
Stephen King ridiculise son sujet. Surtout lorsqu'il implique que les femmes battues se
tournent ensuite vers le sexe faible, symptôme (à ses yeux du moins) de l'état d'anéantissement de la psyché de ses pauvres femmes. Si ce changement de sexualité
n'avait été qu'anecdotique (et surtout expliqué par des raisons autres que les coups d'un mari violent), cela aurait pu passer, mais l'auteur y revient sans cesse. Et dans le cas
inverse, à savoir un homme battu par une femme, celui-ci deviendrait-il homosexuel? L'horreur étant un genre qui demande de juger finement la psychologie pour pouvoir faire vibrer les
cordes au bon moment, le lecteur est en droit de se demander comment
Stephen King peut faire peur avec de tels raisonnements de bas
étage.
Plus grave encore, il remet en question le mode d'écriture de l'auteur, les techniques d'écriture, aussi bien en termes de timing, d'effets de surprise, de choix des mots (en particulier
dans les descriptions chocs, horrifiques et sexuels en particulier), que de thématiques. En effet, à bien y regarder, la calibrage des textes apparaît clairement, ainsi que la
cible: l'américain moyen, qui lit pour se détendre et qui ne veut pas réfléchir plus que de raison, qui désire retrouver un environnement douillet (son Amérique
de rêve, celle des douces banlieues sans problèmes, où la culture populaire est omniprésente, au contraire de la culture "élitiste", pour ainsi dire totalement
absente), à le recherche de sensations fortes (mais pas trop dérangeantes tout de même), la tout saupoudré d'une once d'émoustillement (le sexe, mais là aussi,
un sexe très american way of life approuved). En fait, une sorte de littérature de gare, version haut du panier.
Insomnie est peut-être, contrairement à ce que le titre pourrait laisser entendre, l'un des romans les plus soporifiques de
Stephen King. En effet, entre une histoire extrêmement prévisible, des personnages manquant cruellement de personnalités,
des enjeux dramatiques faibles (reconnu à demi-mots par l'auteur même au cours du récit, et uniquement "crédibilisés" par le besoin de sauver la vie d'un enfant bien
particulier), et par dessus tout une écriture mécanique totalement transparente, ce roman ne pourra satisfaire que les fans les plus ardus de l'auteur. D'ailleurs, celui-ci doit en
être conscient, tant il saupoudre
Insomnie d'allusions à ses principaux romans:
La Tour sombre: Cité à tour de bras dans le roman, le cycle de Roland Deschain se retrouve tout au long du roman, et tout
particulièrement dans la seconde moitié, avec la découverte de la raison véritable de l'intervention de Ralph, à savoir le sauvetage du petit Patrick Danville,
ainsi que la présence du Roi Pourpre, l'ennemi de Roland.
Ça: les deux histoires se déroulent dans la même ville de Derry, et l'on y retrouve des personnages de
Ça,
que ce soient les héros Mike Hanlon (qui est ici le patron d'Helen), Benjamin Hanscom, la présence (suggérée) de Ça (son aura dans un égout, par exemple), mais
aussi au travers du rappel du meurtre d'Adrian Mellon, ainsi que de nombreuses autres références plus ou moins directes.
Simetierre: dans l'antre d'Atropos, Ralph retrouve une chaussure ayant appartenu à Gage, le petit enfant qui se fait écraser
dans
Simetierre, et qui se retrouvera au centre de l'histoire horrifique du roman. Ainsi,
Stephen King laisse entendre que la mort
de l'enfant est due à Atropos.
Creepshow: Ralph fait un cauchemar dans le roman où il voit sa femme ensevelie sous le sable, avec la marée montante, à
l'identique du destin d'Harry et de sa petite amie dans le film de
George A. Romero (tiré des écrits de
King, faut-il le
rapeller?).
Sac d'os: deux des personnages principaux d'
Insomnie, à savoir Ralph Roberts et Joe Plussaj, font une apparition dans
sac d'os.
Insomnie fait indiscutablement partie des romans les plus faibles de son auteur, qui se cache derrière son univers étendu, et en particulier ses titres les plus vendus
(
Ça,
la Tour sombre,
Simetierre) pour crédibiliser son histoire. Une histoire qui manque cruellement de suspense, et qui peine à masquer le manque
d'inspiration d'un auteur sans doute trop prolifique. La quantité au détriment de la qualité, en quelque sorte.