L'auteur américain
Cordwainer Smith a travaillé
toute sa vie sur sa saga des
Seigneurs de l'instrumentalité. Ce premier tome, sorti uniquement en France sous
ce format, est donc un ensemble de nouvelles, sorties aux U.S.A à partir de 1950, formant un ensemble cohérent,
et rappelant fortement les oeuvres d'auteur aussi incontournables que
Ray Bradbury (
Chroniques martienne),
Isaac Asimov (
Fondation),
Franck Herbert
(
Dune) ou bien encore
Robert Henlein (
Histoire du futur). Plus proche de nous, on pourrait facilement
penser à
Kim Stanley Robinson (sa saga martienne). C'est dire si
Cordwainer Smith s'inscrit dans une longue lignée
d'auteurs de science-fiction et d'anticipation.
Construit à la façon même des
Chroniques martiennes (de petite nouvelles espacées dans le
temps racontant l'histoire du monde décrit par l'auteur), ce premier tome des
Seigneurs de l'instrumentalité marque par la force des sujets abordés, ainsi que par
l'universalité des propos tenus par l'auteur. Bien plus qu'une simple histoire de science-fiction, teintée
d'aventures et de fantasy, les nouvelles contenues dans ce recueil sont pleines de réflexion sur la
société, la nature humaine, et la pouvoir. Le format d'écriture, fortement inspiré de la
forme littéraire chinoise, peut paraître naïve, mais c'est non seulement voulu, mais même pourrait-on
dire nécessaire, le forme créant un fossé avec le fond, à la façon des fables et autres
contes de fées.
On retrouve ainsi dans ce premier tome des sujets de réflexion aussi variés que la guerre (les nouvelles
non non pas Rogov!, et
la guerre 81-Q, toutes deux fortement inspirées par la Seconde Guerre Mondiale
et la Guerre Froide qui en a suivi), le nazisme (les nouvelles
Mark Elf,
la reine de l'après midi), la
religion (à différents niveaux, la majorité des écrits, mais plus spécialement
la Dame défunte de la ville des gueux et
sous la vieille terre), l'argent et le pouvoir (pratiquement
toutes les nouvelles tournent autour de ce double sujet), et bien évidemment l'identité de l'Homme.
Certains parallèles sont évidents, comme le personnage de D.Jeanne, mélange entre le Messie des
chrétiens (avec dans le rôle des chrétiens opprimé les sous-êtres animaux) et Jeanne d'Arc
(le nom déjà, mais aussi le destin). Les robots ensuite, qui, même s'ils sont bien moins présents
que dans l'oeuvre d'
Isaac Asimov, n'en restent pas moins
primordiaux pour l'auteur, en particulier pour montrer du doigt le goût du pouvoir de l'homme sur l'Autre, ainsi que
pour faire réfléchir le lecteur sur l'état même d'Etre humain.
D'autres sont plus discrètes, mais néanmoins présentes. La santa Clara, la drogue de longue vie de
Cordwainer Smith, disponible uniquement sur la planète
Nostralie, fait évidemment allusion à l'épice des Fremens, tirés de l'oeuvre de
Franck Herbert. Les fans de science-fiction se retrouvent ainsi comme au sein d'une grande famille, les nuances ou
divergences entre chaque récit étant un moyen différent de voyager dans le monde de l'imaginaire,
et permettant d'aborder des thèmes importants pour les deux auteurs, via un traitement au final presque opposé.
Et pourtant, les deux auteurs ont à coeur de faire de leurs sagas bien plus que de simples histoires de
science-fiction. Aussi bien dans
Dune que dans
les Seigneurs de l'instrumentalité le fond a plus
d'importance que la forme.
La guilde des Sondeurs, au centre de la nouvelle
les sondeurs vivent en vain (nouvelle qui a donné son
sous-titre à ce volume), n'est d'ailleurs pas sans rappeler la Guilde des Voyageurs de
Franck Herbert. Dans
les deux cas, d'anciens humains ont fait une croix sur leur humanité pour faire partie du club fermé des
voyageurs, seuls à pouvoir guider les vaisseaux spatiaux dans l'immensité de l'Espace. L'importance de ce
monopole, ainsi que les actes pour le garder, font évidemment référence directe à la soif de
pouvoir de l'homme. Encore une fois, les deux auteurs convergent en idées, contenu et contenant.
Alex Proyas a du lire
Cordwainer Smith, tant les Etrangers de son film
Dark City rappellent cette fameuse guilde des sondeurs. Il y a pire
référence...
Mais tandis que le réalisateur de
The Crow et
I, Robot
insuffle à ses histoires une noirceur et un pessimisme notable,
Cordwainer Smith est plutôt du genre optimiste, ces
nouvelles ayant pratiquement toujours un happy end, ou en tout cas une conclusion impliquant une amélioration des
choses. L'avenir, chez
Cordwainer Smith, sera rose, même
si le chemin à parcourir avant d'atteindre le bonheur est encore long.
En tout cas, pour le lecteur, le bonheur de lire est à porter de main. Se plonger dans
Les Seigneurs de l'instrumentalité c'est faire un pas dans la science-fiction adulte. De grands moments de
lecture attendent ceux qui découvrent l'oeuvre d'un auteur relativement peu connu en France, en tout cas en dehors
des lecteurs de Science-fiction.
La planète Shayol fait suite
à cette première partie du
Cycle des Seigneurs de l'instrumentalité.