Avec les sept nouvelles présentes dans ce recueil,
August Derleth rend hommage à son maître littéraire,
H.P. Lovecraft, au travers d'histoires directement inspirées des notes laissées par ce dernier, notes que l'on retrouve
dans
ses œuvres complètes.
Les nouvelles sont les suivantes:
Le Survivant (1954)
L'extraordinaire longévité du docteur Charrière ou de l'utilité des reptiles et crocodiles
Cette nouvelle a contre elle sa relative longueur. Non pas qu'elle soit véritablement longue, bien au contraire, mais son traitement est tellement transparent que le lecteur a toujours de
l'avance sur le récit (ce qui peut s'envisager dans certains cas romans ne doit absolument jamais se produire dans le cas d'une nouvelle). Résultat, le suspens en pâtit, et le
lecteur risque de décrocher.
Si cette nouvelle s'inspire en partie d'une idée d'
H.P. Lovecraft, le traitement quand à lui s'éloigne
énormément de l'univers de l'auteur du
Mythe de Cthulhu. Le résultat n'a au final plus grand chose à
voir avec
Lovecraft, tout au plus retrouve-t-on l'idée de la recherche de l'immortalité par l'usage de la magie noire.
August Derleth, pour rattacher son récit à ceux de
Lovecraft,
multiplie les références, citant le Peuple des Profondeurs ou bien encore les fameux livres maudits qui peuplent l'univers lovecraftien, mais le lecteur n'est pas dupe, ces ajouts ne sont
que cela, et ne servent en rien le récit.
Le jour à Wentworth (1957)
Le spectre sorti de la tombe pour réclamer son dû à l'heure dite
Si le concept de base du récit est tirée d'une idée non utilisée d'
H.P. Lovecraft (cf.
ses oeuvres complètes), entre les mains
d'
August Derleth cela se transforme en quelque chose qui n'a plus grand chose à voir avec l'œuvre de
Lovecraft. En soi, cela n'est pas plus mal, au risque dans le cas contraire de tomber dans le plagiat; cependant, en tant que récit
hommage au maître cela est plus discutable. La nouvelle n'en reste pas moins plaisante à lire, certes attendue (sans doute est-ce pour cela que
Lovecraft n'utilisa jamais l'idée), mais rythmée et plutôt réussie. Et
August Derleth aborde l'un de ses thèmes récurrents, à savoir la mort (en particulier au travers de
personnages/créatures qui arrivent soit à vaincre celle-ci, soit à prolonger leur vie de façon impie, comme dans
le survivant ou
l'héritage Peabody
par exemple).
Cette nouvelle est typique du genre de récit édité dans les pulps, autant dans la forme que dans le fond.
L'héritage Peabody (1957)
Le squelette sur lequel repousse et bourgeonne la chair volée à de petits enfants par le démon Balor déguisé en chat
L'héritage Peabody est un remake à peine déguisé de la nouvelle d'
H.P. Lovecraft
la maison de la sorcière. On y retrouve absolument tout le cœur de la nouvelle du Reclus de Providence,
un sorcier (une sorcière chez
Lovecraft), l'homme noir, l'animal de compagnie (un chat dans un cas, un rat dans l'autre), une chambre
aux angles impossibles, des rêves qui se rèvèlent être plus vrais qu'il n'y semble, les crises de somnambulisme, les squelettes d'enfants cachés dans les murs, des sacrifices
de jeunes enfants, la signature avec le sang du héros du livre des sorciers,....
Comme souvent avec
August Derleth, nous nous trouvons à la limite du plagiat. Mais comme non seulement l'influence est affichée,
mais qu'en plus sans lui
Lovecraft serait sans doute aujourd'hui tombé dans l'oubli, force est de lui pardonner.
Mais il est sur qu'à choisir entre les deux récits, mieux vaut choisir
l'original.
la lampe d'Alhazred (1957)
La lampe arabe dont la clarté fait apparaître des paysages extra-terrestres
En mettant en scène nul autre qu'
H.P. Lovecraft, face à une lampe ayant appartenu à Abdul Alhazred, le père du
fictif Necronomicon,
August Derleth, avec cette nouvelle non pas horrifique, mais onirique et poétique, rend l'un des plus beaux
hommages au
Reclus de Providence de toute sa carrière. Et le tout en réutilisant des idées et thèmes du
maître, tout en faisant preuve d'originalité.
Les fans d'horreur stellaire ne trouveront pas leur compte dans cette nouvelle, mais par contre ils ne pourront manquer de noter l'amour (ou plutôt la fascination) que portait
August Derleth envers
H.P. Lovecraft. Mais la carrière éditorialiste
et artistique de
Derleth en est une autre preuve.
La fenêtre à pignon (1957)
Les chauves-souris d'un autre monde, les frayeurs du chat Petit Sam, et le tronçon d'un énorme tentacule sectionné par la fermeture de la porte d'une autre dimension
Cette nouvelle peut être vue en quelque sorte comme la version courte du roman
le rodeur devant le seuil du même
Derleth. On y retrouve l'idée centrale aux deux récits de la fenêtre ouvrant sur un autre monde, servant de passage dans
l'espace et le temps, une porte sur les secrets les plus monstrueux de notre univers. Si le roman ne manquait pas de qualités, force est de constater que le format court sied mieux à ce
genre de récit, plus rythmé et plus apte à faire vagabonder l'esprit du lecteur.
Cette nouvelle est un très bon exemple du travail d'
August Derleth en tant que pasticheur
d'
H.P. Lovecraft.
L'ancêtre (1957)
L'écriture de cette nouvelle est due à un quiproquo de la part d'
August Derleth. En effet, ce dernier a écrit une
majorité de ses nouvelles lovecraftiennes en tirant ses idées des notes d'
H.P. Lovecraft, des notes destinées en
général à de futures nouvelles,
Derleth partant des idées non utilisées. Or, dans le cas de
l'ancêtre,
Derleth prit pour une trame de nouvelle inédite un résumé qu'avait fait
Lovecraft d'un roman de
Leonard Cline,
the dark chamber, un roman considéré par
Lovecraft comme l'un des tous meilleurs dans le genre fantastique.
L'ancêtre est donc une version réécrite de
façon involontaire du roman de
Cline.
L'histoire aborde le thème classique du scientifique qui joue à l'apprenti sorcier (cf. le
Frankenstein de
Marey Shelley), ici associé à celui de la
régression mentale et physique (et qui n'est pas sans rappeler le classique du cinéma qu'est
la mouche noire de
Kurt Neumann, et ce avec un an d'avance sur le film,
sorti en 1958 sur les écrans américains). L'histoire est en quelque sorte la vision horrifique du darwinisme, ou l'homme civilisé est clairement montré comme un simple
maillon d'une chaîne où il ne tient qu'une place minime, l'animal étant quand à lui prépondérant. D'ailleurs, et ce même si la nouvelle n'aborde pas
directement l'idée, on peut supposer que l'homme n'est en aucune manière le dernier maillon de la chaîne, ce qui lie cette nouvelle à d'autres de
Lovecraft, telles que
les montagnes hallucinées ou bien encore
dans l'abîme du temps.
L'ombre venue de l'espace (1957)
Cette nouvelle est pour ainsi dire une version remaniée de l'un des textes les plus connus d'
H.P. Lovecraft, à savoir
dans l'abîme du temps. D'ailleurs, en anglais, le nom des deux nouvelles est on ne peut plus
explicite (
The Shadow Out of Space pour
Derleth et
The Shadow Out of Time pour
Lovecraft). A partir de là, comment juger un texte qui n'apparaît être qu'un simple
résumé de ce que d'aucuns considèrent comme l'un des plus réussis du
Reclus de Providence? En tout cas, cela
montre bien que si
August Derleth a bel et bien permis aux lecteurs de découvrir
Lovecraft, il a aussi parfois été à la limite de la malhonnêteté vis à vis des textes de son
maître littéraire, comme c'est le cas ici. Si encore il avait su réutiliser les idées et concepts pour y apporter quelque chose de nouveau, comme par exemple avec son
roman
le rodeur devant le seuil, au lieu de simplement plagier son aîné!!
Un texte que l'on ne peut considérer comme mal conçu, mais qu'il est facile de haïr à cause de son origine transparente!