Le Bal des schizos est un roman on ne peut plus
Dickien, en cela qu'il traite de quasiment tous les thèmes majeurs de l'auteur:
pourrissement de la société américaine, être humain mécanique, femme fatale, maladies mentales, ainsi bien entendu que rapport à la réalité,
et ce jusqu'à son désir d'écrire de la littérature mainstream, un penchant qu'il lui fut pour ainsi dire toujours refusé de son vivant, et ce malgré un but
avoué de réconcilier la littérature de genre et la littérature générale. En effet, sous des dehors science-fictionnels, pour ainsi dire anecdotiques par
rapport au fil du récit,
le bal des schizos est avant tout un drame humain, où un homme s'enfonce graduellement dans la folie.
Chez
Philip K. Dick, les héros sont pratiquement toujours des hommes faisant partie de la classe moyenne. Et Louis Rosen ne fait pas
exception à la règle, bien au contraire. On ne peut plus banal, le héros du
bal des schizos est un homme dans la trentaine, aux revenus moyens, avec des problèmes
tout ce qu'il y a de plus banals (désir de gagner un petit plus d'argent, envie de se faire aimer par une femme qui ne partage pas ses sentiments,...); un homme qui va se retrouver confronté
à des situations trop difficiles à gérer pour lui (le face à face avec un homme d'affaire plus intelligent, riche et même beau que lui; le départ de son
aimée avec un autre homme, les difficulté financières insurmontables de son entreprise,...). Et comme toujours dans les romans de
Dick, le seul échappatoire à ses problèmes insurmontable n'est autre que la folie. Une folie qui, comme toujours chez
l'auteur, prendra la forme de la schizophrénie.
Mais loin de la fuir, Louis (et bien sur au travers de son héros, l'auteur) recherche et se sent attiré par la folie. La maladie prend d'ailleurs une double forme dans le roman. D'un
côté, on retrouve les simulacres mécaniques, représentant l'une des visions classiques de la schizophrénie, à savoir que l'autre n'existe pas vraiment, qu'il
est en quelque sorte une création du malade (ici, les simulacres, ancêtres de ceux de
Blade Runner, sont créés
par l'entreprise familiale Rosen, le parallèle étant on le peut plus clair). De l'autre, on retrouve la femme (Pris, une schizoïde au dernier degré), qui symbolise
évidement la tentation, une tentation faite de glace et de feu à la fois (la glace représentant le côté destructeur de la maladie, et le feu le côté
faussement protecteur que présente la schizophrénie).
Pris la tentatrice est la femme
Dickienne par excellence: brune, menue, à peine sortie de l'enfance, mais dégageant une
sexualité presque animale (souvent à son corps défendant d'ailleurs). Jamais une femme d'un roman de
Dick n'aura autant
hypnotisé un personnage, fut-il le héros, le tout avec un effet absolument destructeur sur ce dernier. La translation Pris/schizophrénie est totale, d'autant plus que Pris est
elle-même atteinte de la maladie. D'ailleurs, dans ce roman, et comme le disait souvent
Philip K. Dick en entretien, la
société américaine (des années 60/70) pousse à la maladie mentale, et plus particulièrement à la psychose schizophrénique. C'est exactement ce
que décrit ce
bal des schizos: une Amérique décadente, marquée par une domination du monde des paillettes (starlettes, hommes d'affaires ne réussissant qu'en
arnaquant le peuple, ...), où le faible est broyé par la machine, et fini détruit, soit physiquement, soit mentalement. D'ailleurs, si le héros ne survit pas au
rouleau compresseur social, la tentatrice, Pris, non plus. Seul l'homme d'affaires véreux, Sam Barrows, ainsi que les psychiatres (qui eux vivent en partie grâce à cette
psychose collective), s'en sortent contre vents et marrées. En bref,
Philip K. Dick nous parle d'un monde où seul le crime paie!
En cela,
le bal des schizos est l'un des romans les plus noirs de l'auteur, pourtant peu porté sur l'optimisme. D'ailleurs, le fait que les personnages du
bal des schizos, comme
ceux du
maître du Haut-Château ou bien encore des
machines à illusions, se tournent vers le passé et
collections monomaniaques (miniatures d'avion de la première guerre mondiale, objet ou bien histoire de la guerre de Sécession, selon les romans) nous montre que l'avenir n'a rien
à offrir à l'homme, et que tout va de mal en pis. Seul le repli sur soi (Pris et ses carreaux de salle de bain) ou le replis dans le passé (le Lincoln, le Stanton, le désir
de recréer les batailles de la guerre de Sécession) peuvent permettre aux hommes d'oublier et de survire à la noirceur du monde.
Le bal des schizos peut aussi se lire comme une préquelle à
Blade Runner, une histoire qui raconte la genèse
des androïdes que chassera Deckard, certains personnages partageant même des noms avec le roman le plus connu du maître (Pris, Rosen).
Si
Le bal des schizos ne manque pas d'attraits, il lui manque l'étincelle qui fait de romans comme
Ubik,
Blade Runner,
le maître du Haut-Château, ou bien encore
Le Dieu venu du Centaure des romans inoubliables. Les personnages du roman sont attachants, voir marquants (Pris), mais l'histoire quand
à elle très vite oubliée. Et certains passages sont très confus, comme la psyché de son héros, Louis.