Rares sont les auteurs qui, une fois leur livre écrit et livré au public, osent y revenir, retoucher à une oeuvre qui ne leur
appartient plus vraiment tout à fait, voir de la réécrire.
Orson Scott Card
est de ceux là!
En 1979 sort son premier roman,
une planète nommée Trahison. Quoique connaissant un succès dont nombre d'auteurs se
contenteraient, l'auteur de
la stratégie Ender ne se sent pas satisfait de son roman (d'ailleurs
la stratégie Ender aussi a connu
un relifting avant de devenir le roman que l'on connait). Il mettra cependant une dizaine d'années avant de se replonger dans l'histoire de ces
exilés à la recherche de fer. Il n'est pas question pour l'écrivain de totalement réécrire son roman (même si
cela lui a effleuré l'esprit, car dans le principe il voit bien son roman passer de 350 à 600 pages, ayant suffisamment de matière), mais
juste de corriger les quelques erreurs de jeunesse qu'il aurait commise dans son premier roman.
Cela n'est pas sans rappeler un certain
George Lucas, qui n'a cherché tout
au long de sa carrière qu'à améliorer les trois premiers films de sa saga Star Wars, et plus particulièrement
la guerre des étoiles. Contrairement à ce que pensent ses
détracteurs, le cinéaste/producteur n'a jamais eu comme principale préoccupation l'argent lors de ces (nombreuses) ressorties de
ses films mythiques, mais bien l'amour du travail bien fait. C'est exactement le même sentiment qui anime
Orson Scott Card lorsqu'il s'attaque à la réécriture de son roman
la planète nommé Trahison.
Au début de sa carrière,
Orson Scott Card ne s'intéressait qu'à
la science-fiction. Il faudra attendre une dizaine d'année avant qu'il ne change de point de vue, et se tourne vers la fantasy, au travers de
son cycle d'
Alvin le faiseur. Cependant,
Trahison (et bien entendu
une planète nommée Trahison est totalement
baignée de fantasy, de part son principe même, à savoir des êtres humains se retrouvant privés de ressources
technologiques de part l'absence de métaux sur leur planète. La magie n'existe pas dans
Trahison, mais elle est
remplacée par des évolutions scientifiques et génétiques ayant d'un point de vue narratif pratiquement les
mêmes effets. Pourtant,
Orson Scott Card ne cherche en aucun cas à
écrire un roman où s'affrontent des hordes de guerriers et de magiciens/scientifiques, comme pourrait le laisser penser les
premières pages. L'auteur s'intéresse à tout autre chose: le lien étroit entre le pouvoir et la connaissance (scientifique,
essentiellement, pas seulement, puisque philosophie, voir religion, ont aussi une importance capitale vis à vis du pouvoir et de ce qu'en
font les puissants). Il aborde ces sujets au travers de la transformation de son héros, aussi bien d'un point de vue physique que psychologique,
qui en vient à modifier totalement sa vision du monde au fil de ses pérégrinations au travers le monde de Trahison. Le héros,
Lanik Mueller, n'est pas sans rappeler un certain Paul Atréide, le héros de la saga de
Dune
(
Frank Herbert) qui, lui aussi, de part sa transformation en surhomme, en devient le messie
et le sauveur de l'humanité. Les deux personnages connaîtront d'ailleurs aussi un passage (fondamental dans leur évolution) d'ermite
et de réclusion, ainsi bien entendu qu'un rejet de la société dans laquelle ils vivent (les Mueller pour l'un, le gouvernement de
Dune pour l'autre). Dans le cas du héros du roman de
Card s'est le
statut de monstre génétique qui est à l'origine de son exclusion. Sa monstruosité se traduit par l'émergence de
membre surnuméraires (bras, jambes, tête, et bien sur organes génitaux -car c'est la modification de son genre sexuel qui sera
le déclencheur de son exclusion). Les membres de la société où vit Lanik négocient avec les membres de la
République (ceux qui ont bannis leur ancêtres) les organes inutiles qu'ils cueillent sur ceux qui sont considérés comme des
monstres. La similitude avec la nouvelle
la planète Shayol (présent dans le recueil
homonyme) de
Cordwainer Smith est frappante, tant d'un point de vue des malformations que de
l'utilisation de ses monstruosités de la nature. Impossible de ne pas imaginer que l'un a copié sur l'autre. Mais lequel? A chacun de se
faire une idée.
En tout état de fait
Orson Scott Card prouve encore une fois son talent et son
imagination débordante, faisant de lui l'un des auteurs actuels les plus passionnants dans le milieu de la fantasy et de la science-fiction,
cela ne fait aucun doute, mais sans doute aussi tout genre littéraire confondu.