Suite de
Tyrannie de la nuit,
Seigneur du royaume silencieux plonge de nouveau le lecteur dans l'Europe de cette
fin du XIIème siècle fantasmée par son auteur,
Glen Cook. Dans cet univers parallèle, la vie est rude,
et seuls les plus forts peuvent survivre (comme d'ailleurs dans tous les écrits de l'auteur, le passé de militaire de
Glen Cook ayant visiblement eu une importance flagrante quand à sa vision de la vie). Et ici, nulle question d'un combat
entre le bien et le mal typiquement américain, où le bien serait représenté par les chrétiens, et le mal par les musulmans. Chez
Glen Cook, comme dans la vraie vie, la vérité est bien plus complexe (et déprimante) que cela. Nul n'est
parfait; on pourrait même dire que plus une personne a du pouvoir plus il est corrompu.
Mais la grande force de ce roman, en plus d'éclairer le lecteur sur le ridicule des conflits entre factions religieuses, entrainant bien souvent des guerres de religion, parfois
même entre amis ou membres d'une même famille. Ces guerres sont en effet bien plus souvent (toujours?) déclenchées pour des raisons purement politiques, où
les croyances religieuses n'ont rien à faire. Preuve en est faite dans ce roman, de façon très brillante.
Décidément prolixe lorsqu'il aborde le sujet de la religion,
Glen Cook frappe fort, sous couvert de fantasy. En faisant des
dieux (et donc de Dieu) de simples entités démoniaques (ou Instrumentalités), à la recherche du pouvoir et de l'adoration des humains. Tous dans le même
panier, et tous mauvais. Et surtout passagers. Ce que l'histoire humaine, pour peu que l'on s'y plonge un minimum, prouve sans contestation possible. Cette mouvance littéraire
tendant à dénoncer le principe même de religion est sans doute ce qui se fait de mieux dans la fantasy actuelle. Non seulement adulte, mais aussi critique sur notre
société. Parmi ces auteurs nous retrouvons
Greg Keyes et son cycle de
l'âge de la déraison
(
Les démons du Roi-Soleil et ses suites), mais surtout
Terry Pratchett (avec en particulier son
Petits dieux), et
en France
Pierre Grimbert et son
cycle de Ji (en particulier le premier mouvement du cycle,
le secret de Ji).
Même si tous ces romans ne sont pas forcément de très grandes réussites artistiques (on pense en particulier au décevant
l'âge de la déraison), le simple fait de faire réfléchir le lecteur sur ce qui aujourd'hui encore créé tant de tensions dans le monde force le respect
et mérite que l'on s'y intéresse.
Pour revenir à
Glen Cook, et à son
Seigneur du royaume silencieux, le récit s'est déplacé
du Moyen-Orient dans le premier volume en Europe, et plus particulièrement entre Rome (Brothe dans le roman) et le Languedoc (le Connec). L'auteur nous offre une explication des
raisons cachées des massacres qui eurent lieu au XIIIème siècle contre les Cathares, par les Templiers, avant qu'eux-mêmes ne se fassent éradiquer quelques
années plus tard.
Comme dans les véritables guerres, les difficultés ne sont pas forcément là où on les attend, et vaincre le grand méchant n'est pas toujours (comme
c'est malheureusement le cas dans nombre d'écrits de fantasy) le cliffhanger de l'histoire.
Seigneur du royaume silencieux en est la preuve. Une preuve que
Glen Cook ne cherche aucunement à faire de la fantasy comme tout le monde.
Le roman
Seigneur du royaume silencieux laisse aussi la place aux retournements de situations, où le héros principal, Else Tage, alias Piper Hecht, se découvre
un passé qui redéfinit totalement son univers, ses allégeances et son avenir. Un retournement de situation de bon ton, qui à lui seul arrive à porter le
roman vers les hautes cimes des grands écrits d'Heroic Fantasy.
Deux autres tomes sont encore prévus pour cette saga déjà très riche. Et le lecteur d'attendre avec impatience la sortie de la suite de l'histoire de cette Europe
qui aurait presque pu être la notre.