Glen Cook est un auteur monomaniaque. Visiblement très marqué par son passage
dans l'armée, il n'aura de cesse tout au long de sa carrière de revivre son expérience, ou tout du moins sa vision de la vie
militaire, et en particulier en cas de guerre (sale, de préférence), au travers de son oeuvre. Son dernier cycle en date,
les instrumentalités de la nuit, n'échappe pas à la règle. Mettant en scène un monde de fantasy calqué
sur l'Europe et le Moyen-Orient à l'époque trouble des croisades, son cycle évite la prise de partie pour l'un ou l'autre bord.
Le héros, espion du pays de Deanger (une sort de mélange entre l'Egypte et la Palestine), et infiltré à Brothe (capitale
religieuse de l'autre bord, en gros Rome), bien qu'oeuvrant pour l'un, ne juge jamais l'autre camp, bien au contraire. C'est d'ailleurs l'un des grandes
forces de ce roman, car le héros, Else Tage, se retrouve souvent confronté à des choix difficiles, devant affronter
allégeance à son peuple ou à ses frères d'armes. Que va-t-il choisir? Quelle est la meilleure voix, pour sa mission, pour
lui-même, et pour ses proches?
Le roman ne se concentre par seulement sur Else l'espion, loin s'en faut. Un groupe de guerriers nordiques (des vikings à la
Glen Cook), venus d'une autre époque, eux aussi menant une sorte de croisade divine, sont
de la partie. On sent la rencontre entre ce groupe et Else inévitable, même si les liens entre les personnages n'est à priori pas
très clair. Mais la rencontre ferra des étincelles...
Enfin, un troisième personnage sort du lot des nombreux figurants de cette lutte pour la domination religieuse du monde connu, un prêtre
parfait, frère Chandelle (un cathare? Ou bien plutôt un franciscain, comme le laisse supposer son statut par rapport à
l'église officielle du monde décrit par l'auteur). Ce dernier personnage sert essentiellement à l'auteur à décrire
la complexité du monde religieux de son monde, et en particulier les luttes intestines au sein même de son Eglise.
Ce dernier point est d'ailleurs le sujet le plus sensible de ce roman, car à double tranchant. Extrêmement complexe (des personnages
secondaires innombrables, des sujets de discorde souvent purement théologiques), tous les moments concernant l'univers du roman et ses
ramification politico-économico-religieuses peut rebuter plus d'un lecteur, qui risque de se perdre dans des sujets très (trop) complexes. Mais
en même temps, c'est ce qui rend son roman si crédible. On sent derrière tout cela un monde cohérent, possédant une vie
propre. Le livre rappelle d'ailleurs plus par moment
Baudolino d'
Umberto Eco
que, pour n'en citer qu'un,
La Belgariade de
David Eddings.
Ce n'est pas la première fois que
Glen Cook s'inspire de notre monde pour ses romans.
Déjà, dans sn cycle de
la Compagnie Noire, il était possible de reconnaître l'Inde, l'Afrique et bien entendu l'Europe,
dans les pays visités par les porteurs des annales de la compagnie. Dans
Qushmarrah,
c'est l'Orient ancien (Ur, Babylone) qui est source d'inspiration pour l'auteur. Dans ce nouveau cycle, l'auteur met la barre un cran plus haut, en
s'attaquant à une histoire plus proche de la notre (les croisades), et dont les répercussions sont encore importantes de nos jours.
Comme chez
Umberto Eco (et en particulier
le Nom de la Rose),
Glen Cook, au travers de son personnage cynique de guerrier espion, se moque des guerres
intestines au sein de la Religion, censée être porteuse de la Vérité de Dieu, mais en fait servant avant tout la politique des
hommes au pouvoir. La dérision est de rigueur, mais les événements décrits, eux, ne prêtent pas à rire.
Comme dans tous les romans de l'auteur (son principal défaut étant de ne pas réussir à dévier de son style), le rythme
est haché, à base de phrases courtes, rappelant fortement le style journalisme de guerre. Souvent décrié pour l'usage de
ce style d'écriture, jugé peu littéraire, l'auteur se démarque pourtant de ses concurrents grâce à son
écriture si spécifique.
Un autre point commun à tous ses récits est la magie. Toujours dangereuses, réservée à quelques rares élus,
elle est toujours difficile à mettre en oeuvre, et encore plus difficile à stopper. Fascinante par son côté obscur (c'est
toujours le cas) elle est utilisée par les deux bords, chacun accusant l'autre d'utiliser les armes de l'ennemi pour l'affronter. Cet amour/haine
vis à vis de la sorcellerie, absent de
la compagnie noire, est une des grandes idées de ce nouveau cycle.
Complexe, voir compliqué, le nouveau cycle de
Glen Cook peut en rebuter plus d'un,
habitué à de la littérature popcorn (se dévorant sans difficulté, mais s'avérant au final sans saveur), mais
prouve (si besoin est) que l'auteur de
la compagnie noire est un grand de la fantasy.
Mieux maitrisé d'un point de vue narratif (on sent les progrès de conteur qu'a fait l'auteur depuis ses débuts), le cycle
des instrumentalités de la nuit reste paradoxalement moins prenant que son cycle le plus connu,
la compagnie noire. Sans doute
est-ce du à des personnages moins attachants, ainsi qu'à l'impression (légère, mais néanmoins présente) de
redite par rapport à ses précédents romans.
La suite de ce roman se nomme
Seigneur du royaume silencieux.