L'Anneau de Moebius est à ce jour le roman le plus ambitieux de
Franck Thilliez. En effet, l'auteur met la barre
un cran plus haut que dans ses précédents romans, en écrivant une histoire se déroulant à la fois dans le présent et dans un futur très
proche, les deux interagissant de façon complexe, et cela tout en conservant le dynamique propre aux romans policiers.
Visiblement, l'auteur aime à se réinventer, après
la mémoire fantôme, où il
s'était volontairement interdit l'usage de certains mots (plaisir, joie, espoir); cette fois-ci
Franck Thilliez se lance
dans les paradoxes temporels.
Ne reprenant aucun des personnages de ses précédents romans (Sharko et Lucie, que les fans de l'auteur rêvent de retrouver un jour),
l'anneau de Moebius reste tout
de même ancré dans des bases solides et rassurantes pour tout lecteur de
Franck Thilliez, à savoir un
héros, policier, dont le poids des responsabilité et des enquêtes le plonge au fur et à mesure dans l'horreur, voir la folie. Autre repère: un tueur
démoniaque, au modus operandi complexe et hautement visuel (hors de question de mettre en scène un tueur qui égorge ses victimes et les laisse sur le bord de la route, la mise
en scène est primordiale dans l'oeuvre de
Franck Thilliez). Enfin, tout comme dans ses précédents romans,
l'influence cinématographique et télévisuelle est omniprésente, et l'auteur de ne pas s'en cacher.
L'anneau de Moebius (et c'est peut-être son
défaut le plus gênant) use et abuse des références cinéphiliques:
L'armée des douze singes, de
Terry Gilliam. De par l'utilisation que dont les deux oeuvres du voyage dans le temps
(physique pour le film, et uniquement au travers des rêves pour le roman), dans le sens que les héros des deux oeuvres de par leurs actions déclenchent les
événements qu'ils cherchent justement à éviter. On pourrait aussi citer le
Terminator de
James Cameron, où en cherchant à tuer le futur
chef de la rébellion humaine, les robots entrainent la rencontre du père et de la mère du sauveur.
Intuitions, de
Sam Raimi, où l'héroïne
(
Cate Blanchett) a des visions de morts, et aide la police à retrouver le meurtrier. Dans les deux cas, le pouvoir
est vu avant tout comme une malédiction.
Memento, de
Christopher Nolan. Déjà
cité par
Franck Thilliez dans
la mémoire fantôme,
Memento fait encore parler de lui ici, au travers du héros qui se tatoue
des indices sur le corps pour communiquer avec lui-même dans le futur.
L'effet papillon, d'
Eric Bress et
J. Mackye Gruber, où un homme a le pouvoir de changer son passé, et
ainsi remodeler son histoire, avec des effets plus ou moins dévastateurs pour lui et son entourage.

Toutes les séries criminelles à la mode,
Les Experts en tête, avec la starification des experts en criminologie de
la police.
Cela fait beaucoup de références écrasantes, auxquelles viennent s'ajouter, cette fois-ci du côté littéraire, une ambiance
dickienne en diable, où la force de pensée d'un seul homme, fut-il extraordinaire, est capable de modifier l'univers.
Quand cet homme se révèle être à moitié fou (
Philip K. Dick les héros sains d'esprit sont une
denrée très rare), tout peut arriver, et même si celui-ci pense agir pour le bien de tous (typiquement le cas de Stéphane).
A cela vient s'ajouter la difficulté de faire coïncider les deux univers difficilement compatible de la science-fiction et du polar hard-boiled. Si
Dan Simmons a parfaitement réussi la fusion des genres dans son génial
Hypérion, rares sont les auteurs à pouvoir en faire autant. Et même si
Franck Thilliez arrive très bien à captiver son lecteur, force est de constater que malgré une
cohérence quasi parfaite des événements de son roman, l'auteur a bien du mal à totalement faire prendre la mayonnaise. La faute à une confrontation trop
brutale (quoique finement pensée) entre le réalisme sordide de l'univers du policier et l'univers fantastique du maquilleur de cinéma.
On retrouve dans ce roman, comme dans les autres récits de l'auteur, le regard de l'autre, ainsi que son effet dévastateur, et en particulier lorsque ce regard se pose sur le
difforme. Toute l'intrigue policière de
L'anneau de Moebius repose sur ce sujet, tout comme dans
la chambre des morts et dans sa suite,
la mémoire fantôme, la psychologie de l'héroïne, Lucie, reposait sur le regard (fui) de l'autre
sur son passé monstrueux. On pourrait aussi facilement parler du cas de Sharko, le héros de
Train d'enfer pour Ange Rouge et
Deuil de miel, rongé par la schizophrénie, une malformation non plus du physique mais de l'esprit. Et que
dire de Manon, dont l'impossibilité de se souvenir de ce qu'elle a fait il y a de cela cinq minutes fait d'elle un monstre (d'ailleurs paradoxalement mis en avant par son physique
avantageux).
Franck Thilliez aurait-il des démons à exorciser? Ou alors surfe-t-il sur les tabous de notre
société (tout comme il n'arrête pas de le faire avec les déviances sexuelles qui parsèment ses romans).
Etrangement, alors que
L'anneau de Moebius est sans doute le roman de l'auteur qui lui a demandé le plus de travail et de concentration, il est aussi le moins captivant, celui
où les ficelles scénaristiques sont les plus visibles (alors qu'elles auraient au contraire dû être les plus difficiles à percevoir). Le mode
opératoire du tueur, d'une complexité hallucinante, fait là aussi trop réfléchir le lecteur, qui "voit" bien qu'il est manipulé par l'auteur, là
où il voudrait avoir l'impression d'être lui-même l'enquêteur. C'est d'ailleurs ce qui fait qu'
Agatha Christie est si populaire, presque un siècle
après ses premiers romans.
Sans parler d'échec artistique, force est de constater que
L'anneau de Moebius est à ce jour le moins réussi des romans de
Franck Thilliez. Mais, d'un autre côté, combien aimeraient que leurs meilleurs romans soient déjà de
ce niveau.
Vivement le prochain roman de cet auteur décidément très plaisant.