
Ce roman, écrit en 1991, par l'auteur des passionnantes sagas de
l'assassin royal et des
aventuriers de la mer,
Robin Hobb, qui signe ici sous son véritable nom,
Megan Lindholm, s'éloigne
de ses romans d'heroic fantasy. C'est d'ailleurs sans doute pour cette raison que son nom de plume n'est pas celui sous lequel elle est connue, afin de bien marquer la
différence de genre (son roman de Science-Fiction,
Alien Earth, est d'ailleurs lui aussi signé
Megan Lindholm). S'ancrant dans
une réalité presque crue (une femme délaissée par son mari et sa belle famille dans la campagne profonde américaine),
ce récit est hautement déprimant, en tout cas dans sa première partie, la descente en Enfer de cette jeune fille qui se retrouve
petit à petit isolée, et manipulée par son mari (lui-même totalement dominé par ses parents), lorsque la petite famille
part s'installer pour quelque temps (croit-elle) chez les parents de son mari. Cette première moitié du roman ne fait que très peu
appel au fantastique, et ce uniquement lors de flashbacks de jeunesse de l'héroïne, le faune pouvant être vu comme l'ami invisible d'une
enfant seule et malheureuse. Tout comme il reviendra dans la vie de la narratrice lorsque le moral celle-Ci sera de nouveau au plus bas. L'histoire
se focalise donc sur l'horreur au quotidien de cette femme, obligée de vivre loin de chez elle, de tout ce qu'elle aime, et dont le mari change du
tout au tout au contact de sa famille (comme de très nombreuses personnes à travers le monde). La descente aux Enfers est lente, mais
inexorable, et à priori sans solution. Evelyn, l'héroïne, en vient donc, là encore comme de nombreuses femmes (ou homme
d'ailleurs, le malheur n'étant pas un mal uniquement féminin) à chercher du réconfort auprès d'un autre, et finalement
tromper son conjoint, d'une façon on ne peut plus inévitable (et attendue). La seule différence, c'est qu'Evelyn se tourne vers un
faune!
Cristallisation de la sensualité et du désir sexuel purement animal, le faune est au final bien plus que cela. Symbole par excellence de la
Nature, il rappelle au lecteur l'amour que porte
Robin Hobb aux forêts, aux bêtes sauvages et à tout les dons de Dame
Nature (le personnage de Fitz Chevalerie, avec son lien avec son loup, est le plus bel et exemple de cet amour dans l'oeuvre de l'auteur). Cependant,
l'auteur n'oublie jamais que l'homme, même s'il peut parfois porter un amour pour la vie sauvage, la faune et la flore, reste trop
éloigné dans son comportement de la vie sauvage pour réellement en faire partie. Le roman, dans sa seconde partie, aborde longuement
ce point, et ce jusqu'à l'inévitable conclusion. De plus, tout comme dans
le labyrinthe de Pan du réalisateur mexicain
Guillermo Del Toro, le satyre symbolise le fuite du réel, et l'obligation
pour des êtres meurtris (Evelyn dans le roman et Ofélia dans le film) de se tourner vers un monde imaginaire pour supporter une vie
devenue insoutenable.
Enfin, comme chez
Orson Scott Card, dans son roman
Enchantement, la confrontation de
la réalité et du fantastique, et en particulier le monde des contes de fées permet au lecteur de réfléchir sur le but
réel de ces fameux contes pour enfant, souvent violent et parfois teintés de sexualité, deux sujets à priori fort loin des
préoccupations de nos chers bambins.
Un autre point commun avec
Orson Scott Card, l'importance de la musique, et les messages
qu'elle peut faire passer, souvent mieux que des mots. L'utilisation de la musique par les personnages principaux de ce roman est étonnamment proche
de celle faite dans l'excellent roman
les maîtres chanteurs.
Tandis que toute la première partie du roman ne sert qu'à préparer la seconde, cette dernière peut-être vue comme le
délire d'une jeune femme accablée de chagrin, due à la perte de l'amour et de la confiance de son mari, et à la mort de son
fils, unique point d'attache et de bonheur dans un monde trop dur avec elle. A-t-elle rêvé cette rencontre avec ce personnage de
légende, son union avec lui et la naissance de leur fils? Evidemment, le roman prenant le point de vue de la narratrice, tout tend à nous
prouver que cela s'est réellement passé. Mais est-ce vraiment le cas? A chacun d'y voir sa version.
Roman sur l'émancipation de la femme et sur l'amour de la Nature, ce roman se laisse lire avec plaisir, mais ne peut en aucun cas être
considéré comme un des chefs d'oeuvre de son auteur. Les fans de la romancière apprécieront cependant ce livre, leur
permettant de sonder plus profondément la psyché de leur auteur.