Ce roman est l'un des premiers écrits en 1978 par le très prolifique
Orson Scott Card. On y retrouve
déjà les principales préoccupations et sujets de prédilections qui ponctueront son oeuvre
au fil des ans: l'enfant, en tant qu'être, non seulement à part, mais aussi souvent supérieur à
l'adulte; l'humanisme forcené de l'auteur, qui cherche à tout prix à comprendre les gestes de
chacun, y compris les gestes les plus incompréhensibles comme le meurtre, la colère, la haine,... ; le
pouvoir, les choix qui en résultent et son attrait pour beaucoup; l'Amour, la religion n'étant jamais
totalement absente chez
Orson Scott Card, même de façon
détournée.
Dans ce roman nous suivons Ansset, recueilli suite à un abandon, à l'âge de trois ans par le Palais
du Chant, pour y être formé en tant qu'Oiseau Chanteur et être offert à l'Empereur de l'Univers,
les Oiseaux Chanteurs pouvant de par leur Voix subjuguer et influer sur les pensées d'autrui. Ansset se
révèlera être le plus extraordinaire Oiseau Chanteur jamais sorti de la Manécanterie.
Orson Scott Card nous propose dans ce roman un personnage au don exceptionnel, capable par
la voix de modifier le comportement de son auditoire, comme le Jean-Baptiste Grenouille 10 ans plus tard dans et
le Parfum de
Patrick Suskind le ferra avec ses odeurs.
Le roman est découpé en plusieurs parties, chaque partie correspondant à une étape de la vie
d'Ansset, à chaque partie étant associé le nom d'une personne proche d'Ansset, la plus
représentative de cette partie de sa vie:
Première partie: Esste
Cette partie concerne la formation du futur maître chanteur, dans une quête initiatique chère à
l'auteur (pour s'en persuader il suffit de lire
La Stratégie Ender).
Le premier tiers environ du roman est dédié à la formation d'Ansset en tant qu'Oiseau Chanteur, dans
la grande tradition Cardienne, c'est à dire dans la douleur et l'excellence, comme dans les futurs romans de
l'auteur (
La Stratégie Ender,
la Stratégie de l'ombre,
Le Cycle d'Alvin le Faiseur,
Patience d'Imakulata, et
le Cycle de la Terre des origines).
Chez
Card, les héros, et en particulier lorsque ce sont des enfants, se retrouvent toujours confrontés
à un dépassement de soi hors norme, ainsi qu'à des choix liés à l'honneur et au
sacrifice de soi. L'Honneur, qui chez
Card fait partie des qualités principales de l'être humain, tout comme
dans la saga d'
Honor Harrington de
David Weber, même si les buts finaux sont diffèrents pour
les deux auteurs,
Card associant l'honneur à l'humanisme et
Weber
à la nécessité de survie.
Cette première partie du roman est sans doute la plus réussie, car
Card arrive à nous passionner pour
son roman alors qu'il ne se passe quasiment rien pendant 100 pages, la talent de conteur de l'auteur nous hypnotisant et
nous donnant envie à chaque page de savoir la suite.
Seconde partie: Mikal
Dans cette partie
Orson Scott Card nous montre ce pourquoi Ansset a été formé, ses années passées
auprès de l'Empereur, étant ici raconté. A part la rencontre avec l'Empereur, scène centrale
du roman, puisque la vie de cet enfant de 9 ans sera changé à jamais suite à cela, le reste des
années passées à chanter pour l'homme le plus important de l'univers sont à peine esquivée,
le roman s'intéressant plus à montrer le changement radical opéré sur l'Empereur, allant
jusqu'à entraîner sa mort.
Tout comme dans la première partie, le personnage d'Ansset, personnage central de l'histoire, influence beaucoup plus
son entourage qu'il ne l'est par ce dernier. L'univers glisse sur la carapace de l'Oiseau Chanteur tandis qu'il modèle
celui-ci, sans avoir une once de désir de pouvoir.
Troisième partie: Josif
Transformation presque radicale dans cette partie, car on ne suit plus uniquement la vie et l'évolution d'Ansset, mais
un personnage jusque là secondaire, Kyaren, et un nouveau personnage, Josif, à travers une histoire se tournant plus
vers le policier et l'espionnage, comme
Orson Scott Card le ferra dans son
Cycle de l'Ombre 20 ans plus tard. Le roman
sombre alors dans le drame, avec la découverte de l'amour physique par notre héros, qui se conclura par la mort
de Josif. Il est intéressant de noter d'ailleurs que le drame se produit suite à des rapports homosexuels, l'auteur étant
par ailleurs formellement opposé à l'amour entre deux personnes du même sexe. Le choix de faire basculer l'avenir
du jeune Ansset suite à ses rapports avec Josif ne peut pas être anodin.
Dernière partie: Kyaren/Rruk
Le retour à la Manécanterie. On passe très vite sur les 70 ans d'Ansset au plus haut poste de l'univers, pour
s'attarder sur la fin de sa vie, où
Orson Scott Card appuie sur l'importance de finir sa vie sachant son oeuvre
accomplie sur terre, la doctrine mormone est ici édente.
Card évite cependant de tomber dans le prosélytisme,
et nous offre une fin de roman bercée de mélancolie et d'amour de son prochain.
Même si ce roman se classe dans la catégorie science-fiction, cela ne reste qu'un décor, tout comme les
plumes ne font pas l'oiseau, qu'il soit chanteur ou pas, la trame science fictionnelle ne fait pas l'histoire.
L'histoire aurait aussi bien pu se dérouler dans un univers médiéval, voir même dans notre monde,
à l'instar du
Parfum de
Suskind, dont les analogies, quoique sans aucun doute involontaires de la part
de l'auteur allemand, sont grandes (le don unique capable de manipuler les foules, les meurtres - dans le cas de Grenouille
inconscient de son acte de par son inhumanité, dans le cas d'Ansset lié à une induction hypnotique).
Orson Scott Card nous dévoile, avec ce roman, une vaste palette de ses préoccupations sur l'humanité, le
pouvoir, l'enfance, l'honneur, et l'importance de l'art (le chant revient souvent dans l'oeuvre de
Card). Un très bon roman, passionnant de bout en bout,
l'énorme talent de conteur de Card faisant la différence avec le tout venant de la production littéraire.