Alien Earth est le premier (et unique à ce jour) roman de science-fiction écrit par
Robin Hobb, quelques année avant qu'elle ne s'atèle à sa saga de
Fitz Chevalerie,
le cycle de l'assassin royal. L'auteure, écrivant alors encore sous le nom de plume de
Megan Lindholm, quitte pour un
temps la fantasy (après ses cycles de
Ki et Vandien et
du peuple des rennes) pour aborder ses thèmes les plus cher (l'isolement,
l'écologie, la trahison, ...) d'une façon quelque peu différente de ses habitudes. Même si
Robin Hobb avoue aujourd'hui n'avoir qu'à demi réussi son roman (peut-être est-ce
la raison pour laquelle elle n'est plus jamais revenu à la science-fiction?), force est de reconnaitre que rarement les idées et la
poésie de l'auteure n'ont autant jailli d'un de ses écrits. L'une des raisons étant bien entendu que le décalage propre à
tout récit de science-fiction met par définition en avant tous les points de repères par rapport à notre univers (que ce
soient les différences ou bien au contraire les points communs), et ce contrairement à une idée reçue qui voudrait qu'un
récite de science-fiction ne soit que vaisseaux spatiaux, pistolets lasers, et autres robots pensants.
D'ailleurs, dans
Alien Earth, bien plus que dans tous ses autres écrits,
Robin Hobb
nous démontre son amour pour la nature (alors que la majorité du récit se déroule dans un vaisseau spatial, ou bien sur des
bases aseptisées), ainsi que l'urgence et la nécessité de prendre soin de notre planète mère. Au risque d'en arriver
à des extrémités aussi désastreuses que celles décrites dans
Alien Earth, où les humains se voient forcés
de quitter la Terre, devenue moribonde, grâce à l'intervention d'une race bienveillante (à première vue) d'extraterrestre, les
Arthroplanes. Et lorsque les derniers survivants de l'humanité, génétiquement modifiés pour résister aux conditions de la
vie dans l'espace, cherchent à revenir sur Terre, n'est-il pas trop tard?
L'écologie, tout comme dans
le dieu dans l'ombre, est non seulement le moteur mais
aussi le message central du récit. On retrouvera d'ailleurs cette sensibilité, et ce besoin de se sentir comme faisant partie de ce tout
qu'est l'écosystème de la Terre, dans
l'assassin Royal et dans
les aventuriers de la mer (qui possède en commun avec
Alien Earth des vaisseaux pensants, à la recherche de leur véritable identité). Et
Robin Hobb pose certaines questions complexes et embarrassantes: l'humanité peut-elle seule
faire marche arrière? Les êtres humains sont-ils capables de contrôler leur environnement? A la toute fin du roman où
à priori tout peut sembler redevenir comme avant (c'est à dire à l'écosystème actuel, mais sans la pollution humaine),
l'auteur ne manque pas d'enfoncer le clou une dernière fois: en remettant la Terre à un niveau écologique d'il y a quelques
milliers d'années, que deviendront toutes les espèces (végétales aussi bien qu'animales) ayant réussies à
évoluer pendant ce laps de temps?
Mais
Alien Earth est aussi un roman sur l'homme, et plus particulièrement vis à vis de lui-même et de l'autre. Et là aussi
l'auteur jongle intelligemment avec les règles de la science-fiction, en mettant en parallèle un être humain à l'ancienne (Raef),
deux être humains nouvelle mouture (John et Connie), un E.T. parasite et sauveur de l'humanité (Tug), et le vaisseau lui-même
(l'Evangeline). Tous ont une psychologie qui leur est propre, et moins ils sont humains, plus ils sont complexes. La "guerre" qui se joue au sein de
l'Evangeline, durant ce très long trajet qui mène le vaisseau et son équipage des planètes jumelles Castor et Pollux à
Terra, la terre des origines, n'est pas sans rappeler
2001, l'Odyssée de l'Espace, où la paranoïa devient dominante et entraîne
la mort de l'équipage. Chez
Robin Hobb les conséquences sont moins dramatiques
(quoique), mais par contre beaucoup plus réalistes, et donc compréhensibles par le lecteur. Seule l'amour (sous toutes ses formes) permettra
de sauver les êtres vivants à bord (ou étant) de l'Anile, le vaisseau vivant d'
Alien Earth. Seuls les personnages n'ayant d'autre
forme que l'amour d'eux-mêmes périront (inutile de préciser que l'auteur parle pour l'humanité).
Dans ce bel exemple de science-fiction humaniste,
Robin Hobb pose une question essentielle:
l'être humain est-il capable seule de se prendre en main? La civilisation ne gangrène-t-elle pas l'humanité au lieu de la libérer?
Dan Simmons, lui aussi au travers de la science-fiction, dans son diptyque
Ilium / Olympos, traitera exactement du même thème. Les deux auteurs aboutiront
d'ailleurs à la même conclusion: le retour à une humanité plus proche de la nature est la seule solution de survie de
l'espèce.
Passé un début lent (mais posant bien les bases du récit), le roman s'avère passionnant, révélant le talent d'un auteur
qui allait bientôt faire l'unanimité dans le milieu de l'Heroic-Fantasy avec
l'assassin Royal, l'un des cycles les plus novateurs du
genre.