Orson Scott Card n'en finira jamais avec son
cycle d'Ender, et ce n'est pas le lecteur qui s'en plaindra (même si une partie
des fans préférerait qu'il donne une suite -et une fin- à son
Cycle d'Alvin le Faiseur). Commencé en 1985 avec
la stratégie Ender (et couronné
d'un Hugo), continué l'année suivante avec le presque aussi génial
la voix des morts (lui aussi récompensé par un Hugo), les aventures d'Ender donneront suite
à cela à plusieurs romans et nouvelles, ainsi qu'à un cycle parallèle (
le cycle de l'ombre, commencé en 1999).
L'Exil, quand à lui, se situe
entre les deux premiers romans de la saga (
la stratégie Ender et
la voix des morts donc), et cherche à combler les trous narratifs (si tant est qu'il y en ait), tout en
reliant les aventures d'Ender avec les derniers romans du
cycle de l'ombre (
l'ombre du géant). Les lecteurs les plus
difficiles pourront juger l'exercice futile, voir inutile. Cependant, l'auteur possède un tel talent (et maitrise extrêmement bien les concepts de sa saga), qu'il arrive à
passionner ses lecteurs, alors même que la conclusion de
l'exil est déjà connue. L'intérêt est ailleurs.
L'auteur, marqué par l'histoire contemporaine de son pays (les guerres en Irak et en Afghanistan), cherche avec ce roman à analyser les impacts -forcément négatifs- d'un
conflit sur les hommes qui en reviennent. Des hommes souvent plus proches de l'enfance qu'il ne serait souhaitable, et marqué à vie, y compris lorsqu'ils sont vainqueurs. Une
réflexion qui est très proche de celle de
Tolkien à la fin de son
Seigneur des anneaux, lorsque Frodo rentre au bercail, après avoir vaincu Sauron. Ici, Ender, vainqueur des Doryphores,
se retrouve totalement perdu à la fin de la guerre: plus de but (sa raison d'être était d'affronter les formiques), plus d'amis (tous repartent sur Terre, là où lui
se retrouve, pour des raisons politiques, bloqués dans l'espace), et des remords à revendre (le xénocide était-il nécessaire?). Bref, une âme torturée,
presque détruite. Dur à porter pour un garçon d'à peine douze ans (chez
Orson Scott Card les enfants ont
toujours à porter un poids gigantesque, des
Maîtres Chanteurs à
Patience d'Imakulata en passant
par
le Cycle d'Alvin le Faiseur ou son
Cycle de la Terre des Origines)! L'exil sera donc le seul moyen de se reconstruire, à la fois en s'éloignant physiquement et
temporellement (paradoxe du voyage à la vitesse de la lumière oblige) de son ancienne existence, et aussi en recherchant les derniers vestiges de la civilisation formique, avec à
la clé, qui sait, une explication quand à leur fin. Ceux qui ont lu le dernier chapitre de
la stratégie Ender savent bien entendu qu'il trouvera la réponse à
toutes ses questions, et
l'exil de la décrire sur 400 pages.
Orson Scott Card aborde aussi avec
l'exil deux autres thèmes qui lui sont chers (son appartenance à l'Eglise mormone
y est sans doute pour quelque chose): celui de l'émancipation de l'enfant par rapport à ses parents, et celui de la multiplication de l'espèce.
Le premier thème est omniprésent dans tout le roman: Ender et ses parents, Ender et son père spirituel (le colonel Graff), Randall Firth et sa mère, Alessandra Toscano et
sa mère, mais aussi Abra et son père Ix. Et si la majorité de ces cas doit passer par un déchirement, voir la violence, il est possible (Abra et Ix) que cela se fasse dans
la douceur et non la douleur (d'ailleurs, étrangement, ce cas est le seul où les deux protagonistes ne sont pas nés sur Terre, et ont en quelque sorte créé un
monde utopique, très inspiré des préceptes mormons).
Si les enfants se doivent de couper le cordon pour se révéler, les parents quand à eux se doivent de se reproduire (avec
Orson Scott Card, vive les familles nombreuses!), mais pas avant la mariage. Pratiquement tous les personnages (en tout cas tous les
personnages de morale) n'envisagent pas la sexualité avant le mariage. En cela, la science-fiction de
Orson Scott Card est
très réactionnaire, et en opposition quasi complète de celle d'un
Isaac Asimov, qui quand à lui imaginait au
contraire que l'humanité devait impérativement faire la distinction entre sexe et reproduction pour survivre. La différence entre un religieux convaincu et un athée!
Enfin, notons qu'il est dommage que
L'Exil ait tant de points communs avec
le cycle de la Terre des Origines, qui raconte la création d'une colonie extra-planétaire par
un groupe de jeunes (ce que l'on retrouve pratiquement à l'identique dans
l'exil).
La science-fiction d'
Orson Scott Card n'est pas une S-F scientifique, en cela que l'auteur se moque de la technologie (en dehors des
techniques de communication, de l'ansible aux mails) pour se concentrer sur les rapports humains, sa grande spécialité. Et Ender, avec sa froideur et sa computation permanente est
paradoxalement le révélateur des sentiments humains les plus profonds, de l'amour à la haine en passant par toutes les variantes possibles.
Si
L'Exil n'est en quelque sort qu'un long épilogue à
la stratégie Ender (étalant sa mélancolie sur l'ensemble du roman), il est pourtant
conseillé de ne lire ce roman qu'une fois les autres récits du cycle lus, et en particulier
le cycle de l'Ombre.