Umberto Eco n'a jamais caché son amour pour la littérature populaire. Bien avant son roman
semi-autobiographique
La Mystérieuse Flamme de la reine Loana, l'auteur du
Nom de la rose s'attèle à décrypter le mode de fonctionnement de ce
pan de la littérature, injustement considéré (par les critiques en particulier) comme de la sous-littérature.
De Superman au Surhomme, au travers de
ces huit essais, nous démontre le lien étroit entre des auteurs comme
Ian Fleming,
Alexandre Dumas, ou bien encore
Eugène Sue d'un
côté et
Kant et bien sur
Nietzsche de l'autre côté, l'influence n'étant d'ailleurs pas forcément toujours dans le sens que l'on
pense.
De même, en italien marqué par son histoire,
Umberto Eco ne peut manquer de faire le lien entre le héros de
la littérature populaire (ainsi, bien entendu que son pendant cinématographique), et le surhomme né du fascisme. L'auteur ne manquera pas de rappeler (ou d'apprendre)
à son lecteur que le Duce a aussi écrit des romans populaires, avant de devenir l'homme que l'histoire a retenu.
Umberto Eco analyse plus spécifiquement deux auteurs dans son traité, à savoir
Ian Fleming et
Eugène Sue, et entre analyse de style et impact culturel et idéologique, le lecteur sera surpris de découvrir à quel point ces auteurs, non seulement
faisaient preuve d'une réelle qualité plumitive, mais aussi ont eu une influence majeure (en particulier pour
Sue) sur leur époque. Et dans le cas du père
de James Bond d'une véritable culture littéraire (il est d'ailleurs utile de préciser qu'
Umberto Eco a
écrit cette analyse au tout début de la Bondmania, c'est à dire dans les années 60).
Umberto Eco s'intéresse aussi à quelques personnages de fiction tirés de la littérature populaire, et
plus précisément des romans à feuilleton, et les dissèque, autant d'un point de vue culturel que psychologique, ainsi que pourquoi ces personnages ont eu (et
continuent à avoir) un tel impact sur le lectorat. On retrouve donc Tarzan, Arsène Lupin, Rocambole, Monte-Cristo, James Bond et bien entendu Superman.
Un parallèle intéressant est aussi fait entre les super-héros d'aujourd'hui (qu'ils aient des pouvoirs comme Superman ou qu'ils soient juste extraordinaires comme
Fantômas) et ceux d'hier (Hercule, Beowulf, Arthur, ...). Entre points communs et divergences, ces archétypes nous renseignent à la fois sur notre
société et sur celles de nos ancêtres.
En plus d'être très instructif, cet essai sait rester à un niveau de vulgarisation permettant à un non sémioticien (ou psychanalyste) de comprendre la
finesse d'analyse de son auteur. Et, cerise sur la gâteau, l'humour n'est pas absent des quelques 200 pages de ce
Superman au Surhomme, ce qui n'en rend la lecture que plus
aisée.
A conseiller à tous ceux qui auraient honte d'avouer qu'ils aiment la littérature populaire (et en particulier les romans de type feuilletonesques), ainsi qu'à tous ceux
qui dénigrent (à tort) tout un pan artistique et culturel de notre société. D'ailleurs, un auteur comme
Alexandre Dumas, considéré
aujourd'hui comme un classique, n'est après tout rien d'autre qu'un de ses romanciers, payé à la ligne, dénigrés et diabolisés par tout un pan de
la critique.