Nation est le premier roman ne se déroulant pas dans l'univers du Disque-Monde depuis 1996, date de sortie de
Johnny et la bombe. Si voir l'auteur sortir un temps de son univers
phare peut surprendre, cela montre surtout que ce qui prime aux yeux de
Terry Pratchett c'est l'histoire avant tout, et tant pis si elle
ne colle pas avec le monde de Rincevent et compagnie. Et en effet, l'histoire de
Nation colle indéniablement mieux à notre monde, ou en tout cas à une version à peine
remodelée. Le début de l'histoire voit deux catastrophes naturelles d'abattre sur le monde: d'un côté un tsunami qui vient pratiquement éradiquer toute vie dans des
ˆles où vivent des tribus non industrialisées, et de l'autre une pandémie grippale, qui là aussi vient tuer une grande partie de la population, mais cette fois-ci
dans la partie occidentale du monde. Le parallèle entre les deux catastrophes et leurs pendants "réels" est évident, avec un tsunami ayant essentiellement touché les pays
en vois d'industrialisation, et une grippe aviaire ayant fait trembler l'occident. En quelque sort, on a la catastrophe que l'on mérite: une purement naturelle, avec comme une colère des
éléments, et une plus scientifique, puisque liée, en tout cas dans sa compréhension, aux sciences modernes. Mais dans les deux cas, l'effet est dévastateur, et, dans le roman,
aura le même résultat: la Nation et l'Angleterre se retrouveront privés de chefs.
Sur ce postulat,
Terry Pratchett met face à face deux enfants, un pour chaque civilisation, et montre, en parallèle, leurs
efforts pour s'adapter à ses nouvelles donnes, et leurs agissements face à l'autre. Le traitement est bien moins inspiré que dans ses autres romans, et le lecteur ne sera jamais
véritablement surpris en lisant ce roman. Plus grave, l'humour qui fait la maque de fabrique de
Terry Pratchett est ici pratiquement
absent, ou alors tombe bien souvent à plat.
En fait, on assiste à une sorte de
Robinson Crusoé avec des enfants, le tout saupoudré d'une once d'
île du jour d'avant, comme une sorte de mélange
entre l'œuvre de
Daniel Defoe, celle d'
Umberto Eco, et celle
d'
Orson Scott Card (le grand spécialiste des romans initiatiques d'enfants passant à l'âge adulte en affrontant la
nature et bien sur la mort). Mais dans le cas des enfant-héros il manque le côté mythologique que l'on retrouve chez
Card.
Et pourtant, ce n'est pas faute de plagier le père de
la stratégie Ender et des
chroniques d'Alvin le faiseur. Par contre les deux auteurs se différencient
clairement sur un point: la religion. Si
Orson Scott Card ne peut s'empêcher (de façon la plupart du temps totalement
inconsciente) de faire du prosélytisme religieux,
Terry Pratchett, bien au contraire, prône un athéisme absolu (mais
c'est d'ailleurs le cas dans tous ses livres, y compris, paradoxalement, ceux pourtant remplis de dieux de sa saga du
Disque-Monde).
S'il évite de tomber dans le happy-end facile, l'auteur n'arrive pas à transmettre son message(ou alors avec beaucoup de difficultés): les hommes, qu'ils fassent partie d'une
société industrialisé ou pas restent égaux en importance, intelligence, en droit, ou toute autre choses; et avec un petit effort, tous les hommes peuvent se comprendre et
vivre en paix. Un message qui fait certes toujours plaisir à entendre, mais tellement entendu qu'il aurait mérité d'être traité avec ce qui caractérise
habituellement l'auteur: la folie. Mais peut-être est-ce, malheureusement, justement la folie qui est la cause de cette baisse de qualité chez
Terry Pratchett. Car depuis 2007, l'auteur souffre de la maladie d'Alzheimer, une maladie qui comme chacun le sait, cause une
détérioration rapide des facultés intellectuelles. Tous les fans de l'auteur croisent les doigts pour que cet échec artistique ne soit pas à imputer à la maladie
mais plutôt à un manque d'inspiration.
Comme dans
la rédemption de Christophe Colomb
d'
Orson Scott Card (encore lui!), ou bien encore comme dans
chronique des années noires de
Kim Stanley Robinson,
Terry Pratchett s'amuse à réécrire l'histoire en n'en changeant qu'un minimum de données. Le tout pour nous
amener à revoir notre position vis à vis des peuples non-industrialisés, ainsi (et là nous sommes face à du pur
Terry Pratchett) qu'à nous faire voir le monde depuis un autre angle.
Le Royal National Theatre de Londres a annoncé qu'il allait mettre en chantier une adaptation théâtrale du roman, ce qui prouve bien que
Terry Pratchett est désormais considéré comme un auteur majeur, tout du moins dans son pays d'origine; un honneur qui
est loin d'être volé.