Au bout du labyrinthe n'est pas le roman le plus connu de son auteur,
Philip K. Dick. il mérite pourtant que l'on se penche sur
son cas, tant le livre est à la fois un condensé des thématiques de son auteur, doublé d'un thriller science-fictionnel d'une efficacité totale, à mettre
aux côté d'un
Ubik avec lequel il partage nombres d'idées (ce qui est soit n'est pas étonnant, les deux romans
ayant été écrits à la même période, 1966 pour
l'un et 1968 pour l'autre).
Le roman commence de façon très cinématographique, avec présentation des principaux protagonistes lors de leur préparation au départ pour leur
mystérieuse destination, Delmak-O, le tout teinté d'une pointe de mysticisme (le Marcheur), de mystére (quelle est cette étrange planète? Pourquoi avoir choisi des
gens aux compétences si inutiles dans l'environnement présent?), et bien sur de paranoïa (bien sur, car un roman de
Dick
sans paranoïa ne serait plus tout à fait un roman de
Dick). Et très vite, la réalité apparente et logique
va se fissurer: des mouches mécaniques chanteuses, des insectes eux-aussi mécaniques dotés de mini-caméras, un Edifice mystèrieux qui se déplace, et bien sur,
des morts. Très intelligemment,
Philip K. Dick nous présente au début du roman deux personnages en particulier,
Ben Tallchief et Seth Morley. L'un est destiné à devenir la première victime, et donc le moteur scénaristique du roman, et l'autre le personnage de point de vue. Le roman
passe très vite de roman de pionniers à thriller horrifique (qui est le coupable? Pourquoi?), le tout mâtiné d'horreur existentielle (un monde fait de faux-semblants). Et
qui se paye le luxe d'un twist final incroyable, non seulement en avance sur son temps mais aussi et surtout effroyablement difficile à percer à jour avant la toute fin.
Et
Philip K. Dick, en homme en quête de son dieu, de proposer ici une religion créé de toutes pièces, sorte de
mélange des grands courants religieux de son temps (christianisme et bouddhisme en tête), cohérente, y compris (surtout?) dans un environnement science-fictionnel.
D'ailleurs, en parlant de science-fiction, habituellement la S-F ne sert que de décor à son auteur, plus intéressé qu'il est par l'analyse de l'esprit humain, et ce en
dehors de quelques romans, tel
Ubik. Pourtant ici, l'apport science-fictionnel est réel et véritablement novateur, faisant de ce
roman l'un des précurseurs majeurs du mouvement cyberpunks, un mouvement qui sera rendu célèbre à partir du début des années 80 avec les romans du maître
du genre,
William Gibson.
Philip K. Dick brouille avec ce roman les pistes, mélangeant la S-F, la philosophie existentielle, la religion, le thriller, l'horreur,
la psyché humaine, en particulier dans tout ce qu'elle a de plus destructeur, des pulsions de mort aux folies les plus poussées, de la paranoïa à la schizophrénie, en
passant par les T.O.C. et autres psychoses obsessionnelles. D'ailleurs, dans le roman, se laisser aller à ses psychoses risque fort d'entraîner la mort, que ce soit les crises de
nymphomanie de Susie Smart, l'hypocondrie de Maggie Walsh, ou bien encore les crises religieuses de Tony Dunkelwelt. Ceci dit, combattre ses psychoses et les surmonter ne signifie pas forcément
survivre....
Et la fin du roman de sombrer dans un pessimisme absolu, le destin des héros étant tout tracé, et absolument inéluctable. Et le parallèle avec le destin de
l'humanité est facile à faire: chacun doit affronter l'autre, dans une lutte perpétuelle qui n'aura qu'une seule conclusion possible: la mort. Le pire étant que d'un point de
vue cosmique, la Terre, centre de tant de luttes, n'est rien d'autre qu'un grain de sable, perdu au fin fond de l'immensité de l'univers. Comme l'annonce
Alien, le film de
Ridley Scott (qui, s'il n'a pas lu
au bout du labyrinthe, traite de sujets très proches): "dans l'espace, personne
ne vous entendra crier".
Au bout du labyrinthe est un très grand roman de
Philip K. Dick, un roman qui aura influencé de façon plus ou
moins directe quelques grands noms de la science-fiction de la fin du XXème siècle, de
William Gibson en passant par
Ridley Scott, ou bien encore les
frères Wachowski.