
Ce recueil d'
Isaac Asimov met à la disposition du lecteur quelques uns des tous premiers textes écrits et
publié par le Bon Docteur. Si toutes ne sont pas de très haut vol, aucune n'est mauvaise, ni même moyenne, prouvant bien que dès ses premières heures (il
était, lors de l'écriture de ces nouvelles à peine âgé d'une vingtaine d'années),
Asimov
prouve qu'il était déjà une figure majeure de la science-fiction, à qui il ne manquait qu'une chose: la renommée. Celle-ci viendra bientôt, avec
la parution de ses premiers récits sur les robots (
Les Robots, 1950), ainsi bien sur que sa saga du
Cycle de Fondation, tout d'abord paru sous forme de nouvelles, avant de paraître en 1951 sous forme d'un premier
roman (
Fondation).
Le premier récit,
Cul-de-sac, est intéressant en cela qu'il est l'un des rares écrits de l'auteur mettant en scène des extra-terrestres (lui qui
était pourtant persuadé de l'existence d'intelligences non humaines dans la galaxie, cf. son excellent traité
Trous noirs et civilisation extra-terrestres).
L'auteur, abordant pourtant un sujet grave, à savoir l'extinction d'une race, traite son histoire avec humour, tournant en quelque sort en dérision le fonctionnement des
administrations, tout en montrant qu'en faisant preuve de malice et d'intelligence l'être humain est capable de grandes et bonnes choses. L'humanisme chez
Asimov n'est plus à prouver, mais déjà en 1945 cela était clair.
La seconde nouvelle,
Aucun rapport, en opposition à ce qui vient d'être dit, montre vers quoi la bêtise de l'être humain peut (risque) de l'emmener. Cette
histoire est typique de l'après-guerre, où la peur de l'atome devient omniprésente dans la société américaine (et mondiale), et en particulier dans
les oeuvres de science-fiction, aboutissant à des chef d'oeuvre comme le
Je suis une légende de
Richard Matheson (1954),
Dr Bloodmoney de
Philip K. Dick (1963),
un cantique pour Leibowitz de
Walter M. Miller (1960), et bien sur
la planète des singes de
Pierre Boulle (1963). La nouvelle d'
Asimov et le roman de
Pierre Boulle ont
d'ailleurs ceci en commun (avec quinze ans d'avance pour
Asimov) de montrer une terre où l'humain a disparu, et où
des animaux ont évolués jusqu'à développer intelligence, parole et civilisation. Dans
Aucun Rapport ce sont des ours et des chimpanés qui ont ainsi
évolués. De là à dire que
Pierre Boulle s'est inspiré de la nouvelle du Bon Docteur pour écrire son histoire....
La troisième histoire,
Les propriétés endochroniques de la thiotimoline resublimée, n'en est pas une. Il s'agit en fait d'un pastiche de thèse
scientifique, écrit alors qu'
Asimov était justement sur le point d'écrire son véritable doctorat.
Parue dans
Astounding Science Fiction, cette nouvelle a été prise au sérieux par nombre de lecteurs, et la thiotimoline a amplement dépassé le
cadre de la nouvelle. D'ailleurs, en 1952, l'auteur reviendra à sa substance fictive dans un nouvel écrit, puis une troisième et dernière fois en 1959. Cette
histoire, en dehors d'être très bien (faussement) documentée, traite de façon originale du voyage dans le temps.
Voyage dans le temps qui est à la base de la quatrième nouvelle de ce recueil,
La course à la reine rouge, où une scientifique cherche à modifier
l'Histoire en envoyant dans le passé un essai scientifique, le tout sur fond d'enquête policière.
H.G. Wells et sa
machine à voyager dans le temps n'est pas loin, et ce même si
Isaac Asimov termine son récit sur un
twist inverse de celui de
Wells. Cette nouvelle place aussi les prémices de la psychohistoire, le nerf de la guerre du
Cycle de Fondation. Une très bonne histoire, peut-être la meilleure du recueil.
Enfin, la dernière histoire,
la mère de mondes, qui a donné son titre au présent livre, raconte comment la Terre, en infériorité
technologique et militaire par rapport à ses propres colonies spatiales, se voit obligé de faire preuve de ruse et d'intelligence pour vaincre ses ennemis. Dans cette nouvelle
on retrouve ce qui fera en partie le succès de
Fondation, à savoir la suprématie des cellules grises
faces à la force brute, avec bien sur des plans faisant appel à la psychologie et au temps (en fait, la psychohistoire), ainsi que le socle de la saga des
Robots. Outre
la présence des dits robots, on retrouve déjà les différentes planètes colonies et leur mode de vie particulier.
Même si individuellement les nouvelles de ce livre ne sont "que" bonnes, prises avec l'ensemble des autres romans du Bon Docteur, elles trouvent une place de choix, en tant que socle
du succès à venir de celui qui allait très rapidement devenir l'auteur de science-fiction le plus prolifique et renommé du XXème siècle. En cela,
la lecture de
la mère des mondes s'impose. Avec en prime, comme nous a habitué l'auteur, des commentaires et explications suivant chaque nouvelle, replaçant la
nouvelle dans son contexte éditorial, historique, voir financier.
La liste de nouvelles contenues dans
La mère des mondes est la suivante:

Cul-de-sac (1945 - Blind Alley)

Aucun rapport (1948 - No connection)

Les propriétés endochroniques de la thiotimoline resublimée (1948 -
The endochronic properties of resublimate thiotimoline)

La course à la reine rouge (1949 - The red queen's race)

La mère des mondes (1949 - Mother Earth)