Lire un roman jugé scandaleux en son temps et souvent décevant, tant l'évolution des moeurs peut changer du tout au tout le regard vis à vis d'une oeuvre.
Les amants étrangers, considéré comme le premier récit de
Philip José Farmer, est
de ce type là. En effet, au début des années 50, le jeune auteur cherche à faire éditer une nouvelle (
les amants étrangers en version courte
donc), mais se voit refuser son manuscrit par tous, avant enfin d'obtenir un accord de la part du magazine
Startling Stories. En août 1952 la nouvelle paraît et fait
scandale. Tous les lecteurs se montrent écoeurés par cet humain ayant des relations sexuelles avec un extra-terrestre. Paradoxalement, son auteur est récompensé par un
Hugo (en quelques sorte les Oscars de la littérature de science-fiction). Quelques années plus tard,
Philip José Farmer
Les thèmes principaux du roman concernent bien évidemment la sexualité, mais aussi le racisme, le fascisme, et la religion, ce sujet ayant lui aussi été
cause de refus et de polémique.
Si le sexe a toujours fait vendre (la preuve, le roman est depuis vendu pour son côté sulfureux, ce qu'un lecteur contemporain aura beaucoup de mal à trouver dans
les amants étrangers),
Philip José Farmer propose pourtant du jamais vu dans son histoire: Un être
humain ayant des relations sexuelles (non décrites, faut-il le souligner) avec une créature extra-terrestre (et encore, celle-ci ressemble à s'y méprendre à
une superbe jeune femme). Si les lecteurs (et en particulier les lecteurs américains) ont déjà du mal à imaginer des mélanges interraciaux entre blancs et
noirs, il est facile d'imaginer le dégoût face à cette relation "contre nature". Mais le but de l'auteur n'est pas de faire dans le sulfureux pour le plaisir de choquer,
bien au contraire, son histoire traite justement de l'acceptation de l'autre, voir des avantages (culturels ou autre) qu'une telle relation peut avoir, surtout si elle est basée sur
la confiance (sur ce point là d'ailleurs, nul besoin de relation interraciale, toute relation devrait être centrée sur cette notion). Briser un tabou (et dans les
Etats-Unis des années 50 c'en est indéniablement un) est presque toujours un moyen de faire évoluer les mentalités.
Aborder le problème de la religion est là aussi bien souvent épineux. La science-fiction permet l'air de ne pas y toucher de traiter du sujet, voir d'en faire une
critique, plus ou moins acerbe et violente. Sur ce point
les amants étrangers y va franchement. Le clergé est décrit comme totalitaire, fasciste, et absolument
abrutissant pour la population, interdisant toute réflexion et toute évolution de pensée. La très forte hiérarchisation du clergé semble calquée
sur le fonctionnement du catholicisme (il ne faut pas oublier que les Etats-Unis sont pour beaucoup antipapistes), et en fait une critique très violente. Le judaïsme non
plus n'échappe pas à la plume de l'auteur, qui montre dans son futur déprimant un gourou juif créant une religion abêtissante, totalement dénuée de
logique mais pourtant omnipotente. L'auteur n'a jamais caché son antipathie pour les juifs et plus particulièrement l'état d'Israël, qui dans le roman est
présenté comme l'ennemi. Puritanisme et intégrisme sont ainsi pointés du doigt, et aux yeux de
Philip José Farmer le seul moyen de s'en débarrasser passe par une action extrême (dans le roman, cela passe
par un éloignement de plusieurs années lumière de la Terre, ainsi que par la mise à mort du clergé). Un sujet qui reste en tout cas toujours
d'actualité 50 ans après la parution de l'histoire.
Le parallèle religieux entre les deux femmes d'Hal Yarrow est en soi intéressant. La première représente Marie, la virginale mère de dieu, tandis que la
seconde, la lalitha, représente Lilith, la première femme d'Adam. Si la première est à la fois intouchable (pour cause de blocage sociologique) et
inintéressante (rien de bien ne peut ressortir pour Hal de sa relation avec Mary), c'est tout le contraire de Jeannette, la lalitha, qui ouvre Hal aux sentiments, à la
sensualité et à la liberté. Le rapport bien/mal est ainsi inversé par rapport aux Saintes Ecritures, ce qui est tout à fait logique lorsque l'on voit
l'image que
Philip José Farmer renvoie de la religion.
Si le héros de ce récite reste un être à part, supérieur par bien des points de vue à ses contemporains, il diffère grandement des héros
des pulps contemporains aux
amants étrangers. C'est en effet l'un des premiers héros du genre à douter, à ne pas être une sorte de surhomme affrontant
les dangers de l'univers le sourire aux lèvres et la fille dans les bras.
Philip José Farmer prend aussi un autre risque littéraire: Prendre le lecteur à contre-courant en
décrivant des extra-terrestres pacifistes, attachants (très attachants même, le héros ne trouvant le réconfort que dans les bras de l'une d'entre elles),
et finalement plus humains et malins que les terriens. Le lecteur n'attend d'ailleurs qu'une seule chose: Voir l'humanité perdre face à ces autochtones pourtant si
différents de nous, et qui plus est inférieurs technologiquement à l'humanité.
Si le roman a trop été vendu comme étant une expérience érotique puissante et scandaleuse, le rendant par la même décevant en comparaison
à la production actuelle (il y a en effet bien plus de sexe dans un
Hypérion, pourtant jamais vendu le thème
du sexe), il n'en demeure pas moins un roman à lire, car très instructif, non seulement sur la pensée des américains de ces années 50, ainsi que sur
l'être humain en général. Car, si le héros ne prend conscience de l'absurdité de son monde qu'après avoir traversé l'Espace et avoir atterri
sur un monde nouveau, tous ceux d'entre nous qui ont vécu à l'étranger savent que le meilleur moyen de comprendre sa culture (dans le meilleur et surtout dans le pire)
est de s'en éloigner, et d'aller vivre un temps au rythme d'une autre culture, fusse-t-elle proche de celle que l'on quitte.
Ce récit, révolutionnaire en son temps, brasse quantité de sujets brulants, et posse le lecteur à réfléchir sur lui-même et sur sa culture.
La science-fiction intelligente, en plus de divertir son lecteur, sert à cela: Non pas apporter des réponses à des questions importantes, mais à tout le moins
poser les bonnes questions. Et indéniablement,
les amants étrangers fait réfléchir.