Isaac Asimov n'a jamais, de toute sa carrière d'écrivain, arrêté
d'écrire. Cependant, pendant une quinzaine d'années, il n'écrivit plus de romans de science-fiction, préférant se tourner
vers autre chose, et en particulier la nouvelle. Autant dire que lorsque sort
les dieux eux-mêmes, les lecteurs étaient impatients
de dévorer le nouvel ouvrage du maître.
D'ailleurs, à l'origine,
les dieux eux-mêmes ne devait pas être un roman, mais bien une nouvelle, mais
Isaac Asimov c'est laissé entraîner par ce qui à l'origine n'était
qu'une boutade (expliquer de façon crédible l'existence du Plutonium 186, élément impossible dans la nature).
L'auteur, comme toujours dans ses écrits, tient à rester le plus réaliste possible, et ce même (surtout) s'il s'agit de
science-fiction. Pour lui la science-fiction est par définition même de la science mâtinée de fiction. Pas d'univers
improbable ici, où des races E.T. évoluent les une à côté des autres dans problème aucun (comme dans la
majorité des space-opéras). Il est d'ailleurs bien question de contact E.T. dans ce roman, mais
Isaac Asimov appuie bien le fait, dès le début du roman, sur
l'impossibilité du contact entre humains et extra-terrestres. Tout comme
Frank Herbert
dans son
étoile et le fouet (1973), la différence est trop importante entre les races pour qu'elles ne puissent se mélanger,
voir se comprendre. Et c'est bien là où se trouve la force de ce roman: faire comprendre les difficultés de dialogue et de
compréhension entre les races/peuples/cultures.
L'auteur, dans un premier temps, nous démontre qu'entre humains et E.T. il est pratiquement impossible d'avancer et de se comprendre, puis dans
un deuxième temps il se focalise sur le même problème, mais cette fois-ci entre terriens et lunatiques (les habitants de la lune),
pourtant humains tous les deux. Mais dans ce dernier cas l'espoir existe. Par extrapolation on comprend
qu'
Asimov nous parle aussi (surtout?) des problèmes entre les peuples humains. Avec
un petit effort (et la science est un bon moyen de commencer) il est possible de régler la majorité des problèmes. Une leçon
humaniste comme
Isaac Asimov aime à en faire.
Le roman est découpé en trois parties, chacune abordant d'un point de vue différent le problème lié à cette
interaction multiraciale, due à la découverte de ce fameux composant impossible, le Plutonium 186. Dans la première partie,
en quelque sorte l'introduction à l'histoire, c'est du point de vue humain qu'est abordé le sujet. Ce n'est pas par hasard que l'on
commence par l'humanité, cela permet au lecteur de s'identifier plus facilement au premier personnage de point de vue, et de comprendre (en partie)
les tenants et aboutissements de l'histoire. Dans la seconde partie, c'est du point de vue est extra-terrestres qu'est racontée la même
histoire (bien qu'à priori rien ne lie les deux segments).
Isaac Asimov ne tombe
d'ailleurs pas dans l'anthropomorphisme et arrive à nous décrire l'une des races E.T. les plus éloignées de l'homme que
la littérature n'ait vue depuis longtemps. Si l'histoire avait commencée par cette partie, il n'aurait pas été aisé
de comprendre ce qui se passe. Cette seconde partie contrebalance ce qui a été raconté précédemment et permet de bien
appréhender tous les enjeux. Enfin, dans la troisième et dernière partie, l'auteur nous plonge dans la cité lunaire, presque
à mi chemin entre l'humanité telle que nous la connaissons et une civilisation extra-terrestre. La conclusion de l'histoire, qui permet de mettre
tout le monde d'accord, vient donc d'une entité presque extérieure au drame humanité/E.T.; en quelque sorte une façon de dire
à chacun de faire des efforts pour s'adapter à l'autre et tout ira mieux dans le monde.
Les dieux eux-mêmes reçut les plus prestigieuses récompenses de la littérature fantastique, à savoir le Nebula
en 1972, le Hugo en 1973 et le Locus la même année. Toutes ces distinctions semblent surdimensionnées par rapport
à la qualité du roman (qui reste de très bonne facture), et semblent plus récompenser un auteur n'ayant jusque là
pratiquement jamais connu les honneurs de ses pairs.
Le titre du roman est en fait une citation de
Friedrich Schiller :
Contre la stupidité, les dieux eux-mêmes luttent en vain.