Petit moine deviendra grand
Certains films sont véritablement portés par un seul homme. C'est le cas de Printemps, été, automne, hiver... et printemps.
Scénarisé par Kim Ki-Duk (ours d'argent au festival de Berlin pour Samaria, lion d'or au festival de Venise pour
Locataires), réalisé par Kim Ki-Duk, et interprété par Kim Ki-Duk, cette fable bouddhiste est sans
conteste aucun l'oeuvre de l'homme. Surtout lorsque l'on connait son passé de pratiquant assidu de la religion bouddhiste.
L'auteur portait en lui le film depuis un certain temps, pas nécessairement sous la forme actuelle, mais en tout cas son désir de
créer une fable existentialiste résolument bouddhiste lui tenait à coeur.
Après de nombreuses discutions et pourparlers avec le gouvernement coréen, le cinéaste obtient la permission de tourner dans la
réserve de Jusan, site protégé qui correspond parfaitement à sa vision. La construction du temple aquatique (où se
déroule la quasi totalité du film) peut commencer. Le lac artificiel sur lequel repose le petit temple est entouré de montagnes
majestueuses (et vierges de toute occupation humaine), et les arbres centenaires à moitié immergés donne une ambiance de
sérénité au site idéal pour l'histoire de la vie de ce moine qui va découvrir le sens de la vie au travers des
différentes saisons, jusqu'à arriver au stade suprême du bouddhisme, l'Eveil.
Le film sera très bien reçu dans les nombreux festivals internationaux dans lesquels il sera présenté, et en particulier
à San Sebastian et Locarno.
De l'interprétation
Très fortement teinté de symbolisme, Printemps, été, automne, hiver... et printemps peut facilement perturber, voir
tromper, les spectateurs occidentaux. Même si les grands thèmes (la cruauté, la luxure, la haine) sont facilement
compréhensibles par tous, nombre de messages peuvent être mal interprétés par des personnes dont la culture bouddhiste est
étrangère. En voici quelques exemples:
le serpent: Cet animal possède une symbolique très forte chez les catholiques,
mélange de chute du paradis perdu et de désir (voir même de sexualité), il pourrait être vu dans le film de
Kim Ki-Duk de la même façon, et entrainer le spectateur à un contre-sens. Le reptile est omniprésent dans le film
Printemps, été, automne, hiver... et printemps, de la première saison (où le petit moine va cueillir des herbes),
à la dernière (ou le serpent se love dans le temple. On pourrait facilement tomber dans le piège de voir en ce serpent le tentateur
qui entrainera le petit moine vers la luxure et le vieux moine vers la mort. Surtout qu'au vu des images, cela pourrait être une explication. Ce
serait méconnaître l'importance du règne animal dans le bouddhisme, où la réincarnation est un fait établi. Il
n'y a pas de bon ou de mauvais animal (quoique ce ne soit pas aussi simple que cela), et le serpent en vaut un autre.
le suicide: Là aussi, il est facile de voir dans la mort du vieil homme l'aveu
d'avoir failli dans l'éducation du petit moine et dans sa vie, la seule chose qu'il lui reste à faire étant de mettre fin à
ses jours. Cette explication en vaut une autre, mais dans le cadre d'une fable bouddhiste elle apparait comme peu plausible. Le désir de ne plus
faire qu'un avec la nature, suite à une vie bien remplie (d'un point de vue spirituel) est sans doute plus crédible. Mais à chacun de
se faire sa propre interprétation.
le bouddhisme: La non compréhension profonde du mode de fonctionnement de la vie monacale et du
bouddhisme en général peut facilement faire penser au spectateur étranger à cette religion que cette dernière ne
prépare pas l'homme à la vie en société. Et qu'au contraire, elle le met dans une situation faisant que l'ascète se
retrouvera, dès son premier contact avec ses semblables, en position de faiblesse, succombant à tous les vices de la société.
Dans le cas de notre héros, le désir, et la haine le menant au meurtre. Prôner la vie en symbiose avec la nature, en ermite, semble
être plus dangereux que positif. De là à penser que l'enseignement bouddhiste dans sa totalité est un échec il n'y a
qu'un pas que l'ignorant pourrait franchir. Se serait méconnaître et l'auteur et la religion du Bouddhha.
Bien entendu, Kim Ki-Duk est tout à fait conscient de ce risque d'incompréhension (voir de méprehension). Mais cela ne le
gêne pas, au risque de s'aliéner une partie de son audience.
Dans le même genre d'idée, le réalisateur a fortement été critiqué pour avoir torturé et tué des
animaux pour les besoins de son film. Ce n'est d'ailleurs pas la première fois qu'il agit ainsi (ni malheureusement la dernière). Il n'est
pas le premier cinéaste à tomber dans le snuff animalier, mais cela ne l'excuse en rien. Surtout qu'il n'en retire aucun remord. Les
mauvais traitements d'animaux n'aurait jamais été accepté (ni même envisagé) en occident. Paradoxalement, c'est un
bouddhiste convaincu qui agit de la sorte. Très étrange...
Film très cérébral, Printemps, été, automne, hiver... et printemps est avant tout emprunt de symbolisme,
bouddhique et spirituel. Ainsi, à chaque saison différentes associations dirigent le spectateur sensibilisé aux différents
symboles présents. Ainsi, à chaque saison se trouvent associés un animal et un ou plusieurs émotions:
le printemps: Associé à l'enfance, cette saison est marquée par l'apparition
chez le petit moine de la cruauté gratuite (exercée sur des animaux), ainsi que l'ignorance. Deux défauts majeurs dans la religion
bouddhique. L'animal lié à cette période est le chien.
l'été: Temporellement, elle représente l'adolescence du moine.
L'été, période propice à l'éclosion des sentiments amoureux, marque justement notre héros d'une rencontre
féminine qui bouleversera sa vie en même temps que ses hormones. Le désir et la concupiscence étant, là encore, des
défauts considérés comme majeurs dans le religion bouddhique. L'animal associé à cette saison est le coq.
l'automne: L'automne, qui voit la nature commencer à décliner, voit aussi le
moine passer à l'âge adulte (l'automne de la vie d'un homme). A l'inverse de l'été qui voit exploser les sentiments amoureux, cette
saison, plus déprimante, voit émerger des sentiments forts, comme la haine, entrainant le moine vers l'irréparable: le meurtre. Le chat
est l'animal associé à cette saison.
l'hiver: Période la plus rude de l'année, elle marque symboliquement la mort de la
nature, et par association la vieillesse. Tandis que cette saison marque la fin de l'année (et donc la mort), elle voit le héros lui
vaincre ses défauts et devenir à son tour, comme son ancien maître, un moine contemplatif. La rédemption est donc le sentiment
fort de cette saison. Le serpent est l'animal de l'hiver chez Kim Ki-Duk.
le printemps: Renouveau symbolisant la roue du temps revenant toujours à son commencement, le
second printemps de l'histoire, représenté par la tortue, marque l'immuabilité des actes, chaque génération
étant égale à la précédente, et ce jusqu'à l'Eveil du Bouddha. Le cycle de la vie recommence encore et encore,
tant que chacun préservera la nature.
Le moine aura donc à combattre puis vaincre les "trois racines du malsain" propres à la religion bouddhique, à savoir l'ignorance
(l'enfance du personnage), le désir (l'adolescence) et la haine (l'age adulte). Une fois ces trois racines vaincues, l'homme pourra sortir du
cycle des réincarnations et accéder à l'éveil. Eveil que le héros (incarné par Kim Ki-Duk) atteindra
lors de sa montée sur la plus haute montagne de la région, véritable chemin de croix bouddhique. L'élévation est alors tant
spirituelle que physique, et marque l'achèvement de l'éducation du moine.
De façon globale, l'emplacement même du temple, entouré d'un lac, lui même entouré de hautes montagnes, est en soi un
symbole fort. Surtout en Coré, ou la montagne est source de la majorité des mythes locaux. De plus, la montagne est aussi symbole du
début et de la fin de tout. Symbole on ne peut plus en adéquation avec le sujet du film.
Tout comme la porte du temple, s'ouvrant et se refermant pour le spectateur, à qui l'on donne le droit de venir observer cet havre de paix et de
tranquillité (à priori).
Tandis que d'un côté, Kim Ki-Duk donne une leçon de vie que tout bouddhiste rêverait de suivre, de l'autre
côté le cinéaste peut choquer son audience de par certaines de ses thématiques. En dehors du traitement inadmissible fait
aux animaux du film, le rapport à la femme, cette fois-ci purement cinématographique, a de quoi faire grincer des dents. En effet, des
trois personnages féminins du film, aucune n'est bien traitée:
la mère: le premier personnage (le dernier par son importance dans l'histoire), est une
mère amenant sa fille au temple, à priori pour s'y faire soigner, mais on se rend vite compte qu'en fait elle vient l'abandonner à
la mort, son mal étant considéré (ou en tout cas apparaissant) comme incurable. Ce personnage est au final le mieux traité
du film, car on ressent la douleur de son abandon.
la jeune fille: Lorsqu'on la rencontre, elle est malade, et se voit confiée au vieux moine et
à son jeune disciple. Visiblement pas si malade que cela, elle succombera aux avances du moinillon (pourtant peu habile au jeu de la
séduction). Elle se retrouve donc objet du désir du moine, désir qui sera vite assouvi et le rendra fou d'amour. Folie au sens
propre, car suite à la trahison de la jeune femme (avec un autre homme) il la tuera d'un coup de couteau. Aucune pitié n'est accordée
à son personnage, qui ne sert visiblement qu'à assouvir les besoins physiques des hommes. La femme/prostituée est une image
récurrente chez Kim Ki-Duk. Alors que le meurtre peut être pardonné, la concupiscence, elle, ne mérite pas le pardon.
Une bien étrange philosophie.
la mère du bébé: Encore un rôle de mère abandonnant son enfant. Mais
cette fois-ci l'enfant est un bambin. On devine d'ailleurs que le héros a du être abandonné de la même façon par
sa mère. La mère n'a pas de visage, signalant ainsi qu'elle n'est rien, à peine digne de vivre. Le fait qu'elle meurt des mains de
Dame Nature prouve que même la loi naturelle est contre ce genre d'actes.
A noter que dans la culture sud-coréenne, la femme n'a toujours eu qu'un rôle secondaire, et que toujours aujourd'hui, elle n'a pas le
droit à un traitement autre. Le fait qu'il y est si peu de moine femmes dans la religion bouddhiste est un signe de cette exclusion.
Même la fin peut choquer un occidental, dans le fait que le cycle recommence, avec à la clé les mêmes erreurs
(pardonnées pour les hommes, punies pour les femmes). En voyant le petit enfant faire les mêmes horribles choses aux animaux, on comprend
que son destin sera identique à son maître, et que par déduction le maître de celui-ci avait du faire exactement la même
chose dans sa jeunesse. On peut d'ailleurs revoir l'immolation du vieux moine d'une façon différente (abordée un petit peu
plus haut).
Le message véhiculé par le film (la concupiscence est le pire des défauts, car il entraîne le désir de posséder, et
donc la haine et la jalousie, qui eux-mêmes mènent au meurtre) est tellement surfait qu'il est par moment difficile de rester dans le film,
tant le sujet a été rabâché tout au long de l'histoire du Septième Art et de la littérature. C'est d'autant plus
dommage que la photographie (de Baek Dong-Hyun) est splendide, et que la musique accompagnant le métrage (composée par
Park Ji-woong) est d'une beauté rare.
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