Mamoru Oshii, réalisateur des films d'animations Patlabor 1 et 2, ainsi que de Ghost in the shell, revient avec
le film Avalon à ses premiers amours : le film live.
Cette longue absence de la scène cinématographique de l'auteur s'explique en partie par une période difficile pour l'animation, et
ce malgré le succès de Ghost in the shell, mais aussi par le fait que Mamoru Oshii est un accro absolu des jeux
vidéos, comme beaucoup de ses concitoyens japonais, et qu'il a perdu approximativement trois ans de sa vie devant son écran à
jouer, essentiellement au jeux de rôles.
De cette longue période l'auteur en a tiré deux choses:
Un fort sentiment de culpabilité vis à vis des années perdues devant son
écran d'ordinateur.
un scénario: celui qui aboutira au film Avalon. En effet, l'auteur se dit qu'il est
vraiment dommage que certains jeux, comme le loto, permettent de faire gagner de l'argent à ceux qui y jouent, alors que les autres, les jeux
vidéos en particulier, ne le permettent pas. Il imagine alors un monde où ce serait le cas.
Le film apparaît alors clairement comme une tentative d'explication pour les non joueurs de l'addiction induite par ces jeux, ainsi qu'un
hommage pour les hardcore gamers leur disant: "vous avez raison de jouer! Dans un monde idéal on devrait vous payer pour cela". Et pourtant, le
monde décrit dans le film est loin d'être idéal, plongé constamment dans une ambiance glauque, les gens vivant dans une
pauvreté presque totale. Le film ressemble beaucoup esthétiquement aux films de Terry Gilliam, Brazil et l'armée
des douze singes en tête, même si Mamoru Oshii se défend premièrement d'être influencés par le
réalisateur britannique, et secondement de traiter des sujets similaires à celui-ci, alors que le film de chevet du japonais n'est autre
que la jetée de Chris Marker (1962), dont l'armée des douze singes est le remake. Les coïncidences sont un
petit peu trop nombreuses pour n'être que des coïncidences. Mais peut-être que Mamoru Oshii n'a pas réellement
conscience de l'apport de l'ex Monthy Python sur son cinéma. De même, c'est peut-être le cas de l'influence Cyberpunk propre
au cinéma japonais, énormément influencé par l'oeuvre de l'écrivain américain William Gibson.
De son coté hardcore gamers, et plus particulièrement fan de jeu de rôles, Mamoru Oshii tire de ses loisirs un langage
(les termes utilisés dans le jeu Avalon sont directement sortis du jeu de rôle, avec ses classes de personnages, l'expérience
acquise en combat, etc...), et des buts à ses protagonistes (passer au niveau supérieur). Les gamers fous remarqueront d'ailleurs
qu'alors que l'inspiration de l'auteur est typiquement rôlistique, le jeu Avalon est une extrapolation grandeur nature des jeux massivement online,
en pleine explosion au moment de la sortie du film. En s’intéressant aux deux grosses catégories de joueurs (les adeptes du JdR et les fans de
FPS), l'auteur caresse ainsi dans le sens du poil les principales cibles potentielles de son film. En jouant sur une certaine forme de
philosophie ésotérique, le scénario cherche enfin à coller au plus près du sujet du grand succès du moment,
à savoir Matrix, des frères Wachowski. Cependant, dans ce film, le message (déjà pas aussi profond que cela
dans le film des Wachowski) sombre ici dans le néant quasi absolu. L'ajout de la légende arthurienne n'y changera rien, le film
restant superficiel dans le traitement de ses idées. La dernière partie du film, hautement prévisible pour plus d'une
raison, tombe ainsi à plat, frisant même le ridicule tant le réalisateur semble y mettre de la volonté.
Par contre là où l'on ne peut que louer les qualités du réalisateur, c'est bien sur l'esthétisme. Les images,
dont les couleurs très neutres, proches du noir et blanc, sont léchées, rappelant à qui en a besoin, que
Mamoru Oshii sort de l'animation japonaise, où la recherche de l'image est toujours primordiale. On retrouve d'ailleurs de nombreuses
scènes typiquement manga dans son film live. La photographie est bien la partie la plus réussie de ce film, les nombreuses retouches
numériques ajoutant encore une touche d'originalité. Ces images retouchées par ordinateur ont aussi permis à l'auteur de
jouer jusqu'au moindre détail apparaissant à l'écran, comme le clignement des yeux de l'actrice par exemple. De ce coté
là force est de constater la réussite du réalisateur et de son équipe technique.
Le film a été tourné en Pologne, pour des raisons budgétaires (un film tourné dans ce pays coutant évidemment
beaucoup moins cher qu'un film tourné au pays du Soleil levant), et aussi pour des raisons symboliques, le film tournant autour du mythe
typiquement européen des légendes arthuriennes (oui, la Pologne n'est pas vraiment -pas du tout- l'Angleterre, mais après tout,
pour un japonais l'Europe n'est pas très clairement définie). Il se trouve que les décors naturels des villes polonaises en ruines
(symboles encore vivace de la Seconde Guerre Mondiale) sont parfaits pour le film, une grande majorité des scènes du jeu se
déroulant dans un environnement de guérilla urbaine. L'armé polonaise a d'ailleurs prêté ses véhicules
(hélicoptères, chars, canons,...) et ses soldats pour plus de réalisme (un comble pour un jeu vidéo).
Les acteurs ont eux aussi été choisi sur place. Tous ou presque sont issus du monde du théâtre, avec les qualités et les
défauts que cela implique (le risque principal étant de tomber sur des acteurs qui surjouent leurs rôles). Le casting fait
d'ailleurs partie des faiblesses du film, les acteurs étant en moyenne assez médiocre, voir mauvais dans le cas de Jerzy Gudejko,
visiblement plus à l'aise sur les planches que devant une caméra. L'actrice principale, Malgorzata Foremniak ne s'en tire quand
à elle plutôt bien. Il faut dire que, même si Mamoru Oshii a eu besoin d'un interprète tout le long du film, les
acteurs et le réalisateur n'ayant aucune langue en commun, ce dernier a prêté une grande attention à son actrice
principale; trop peut-être, car le japonais a reconnu être tombé amoureux de son actrice, sans que cela ne soit malheureusement
réciproque. Ce n'était pas la première fois que cela lui arrivait, soit dit en passant, Mamoru Oshii tombant
systématiquement amoureux de ses actrices lors de tournages en live. Fait amusant, l'acteur jouant le rôle de Bishop se nomme
Dariusz Biskupski, son nom de famille se traduisant en anglais par ... Bishop. Un rôle fait sur mesure.
Ce film, sorti 10 ans auparavant, aurait pu révolutionner le genre, ou tout au moins aurait fait preuve d'une certaine originalité. En
2001, à sa sortie, le sujet était devenu éventé, et le manque de profondeur dans le traitement pousse le spectateur
à se demander quel est la réelle ambition du film, et quelle est la vision du réalisateur sur un sujet pourtant aussi complexe:
la rapport à la réalité!